D’où vient l’initiative du blog ? Quel était votre but, vos motivations, vos attentes ?
J'ai commencé le blog en juin 2004 et c'était une époque où l'outil était nouveau. La curiosité a vraiment été le moteur principal. Avant cela, j'avais passé pas mal de temps sur le forum du magazine Technikart, qui était très amusant et très réactif, un peu l'équivalent en 2000 de ce que Facebook peut être aujourd'hui dans ses meilleurs moments. 4 ans plus tard, cela me manquait d'avoir un tel lieu virtuel où interagir avec des gens plaisants ; peu importe que je les connaisse ou non, qu'ils soient ou non anonymes.
Je travaille la plupart du temps chez moi, seul. Je le vis très très bien, ça me plaît vraiment et je ne pourrais même pas supporter l'ambiance d'une rédaction. Mais, comme tout le monde, durant le travail, j'ai besoin de déconner, de glander, de lâcher du lest. Parler de tout et de rien, raconter des blagues durant les pauses, me disputer même. C'est pourquoi j'ai toujours considéré que les blogs et les réseaux sociaux étaient aussi pour moi une « machine à café virtuelle », l'équivalent du lieu où se retrouver au bureau quand on veut relâcher la pression.
Il faut nourrir la conversation. Un blog, un compte Facebook, ça ne se remplit pas tout seul. Faut donner de soi. En 2004-5, je travaillais pas mal, mon nom circulait bien dans les médias belges, j'étais même en quelque sorte "micro-célèbre". A cette époque, les blogs de journalistes n'étaient pas nombreux, il paraît même qu'en Belgique, j'ai été le premier... Les journalistes, j'ai toujours trouvé que c'étaient beaucoup de gros cons, des gens extrêmement prétentieux avec leur petite morale middle of the road, leurs articles sur l'eau qui mouille, leurs débats sociétaux de mes couilles et leur glamour en toc.
Aussi, j'avais envie de rire de cela et pour ce faire, de nager complètement à contre-courant : de me montrer le plus cash et anti-glamour possible là où la plupart surjouent la façade propre et lisse. Bien souligner que même avec un nom un minimum connu, mes fins de mois restaient compliquées. Ne pas cacher la lose, l'aspect fêtard. Montrer comment tenter de garder un esprit sain dans un milieu débile pouvait être difficile. Tout cela a vite évolué vers autre chose de plus critique, de plus incisif, mais au départ, ce n'était que ça : le Snul-Kit du journaliste culturel.
Pourquoi avoir arrêté plusieurs fois?
Un jour, ça gave, j'arrête. Un autre jour, ça manque, je recommence. La réflexion n'a jamais été poussée beaucoup plus loin. Je suis de nature très instinctive : j'ai envie, je fais. Je n'ai plus envie, j'arrête. Quand ça gave, c'est que je sens le truc m'échapper. Que je commence à me sentir obligé, limité, que je me retrouve à jouer un rôle, à donner aux gens ce que je pense qu'ils attendent plutôt que ce que j'ai envie d'explorer, à m'autocensurer, trop me justifier. Je m'arrête quand je me sens prisonnier d'une image, d'un processus, de clichés. Lassé des trolls ou lassé tout simplement, le plus souvent par le contexte un peu hargneux qui s'est parfois créé autour du blog.
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Quelles différences dans l’écriture ? Y a-t-il une écriture « spéciale blog » ?
Cette question ne s'est pour moi jamais posée parce que j'ai toujours eu la grande particularité d'être justement engagé pour mon style d'écriture. Donc, même s'il y a déjà eu de temps à autre des exceptions, j'écris en gros sur mon blog comme j'écris dans la presse traditionnelle. C'est mon style mais bien sûr, je m'adapte : dans un article-papier, il y aura moins de « je », de digressions personnelles, de private jokes, forcément pas d'hyperliens.
Vos blogs vous ont-ils servis de vitrine, d’une quelconque façon ?
Oui, toujours. Mais comme dans toute création, à fortiori interactive, il y a beaucoup d'éléments qui échappent à la volonté de départ, au contrôle. Vous avez l'idée de lancer une simple vitrine promotionnelle pour vos activités mais si vous vous y investissez un petit peu sérieusement et que vous vous y perdez ne fut-ce qu'un tout petit peu, vous vous retrouvez très vite avec vos tripes sur la table. Ou alors, ça n'intéresse personne et vous restez dans votre coin à regarder niquer les mouches au plafond. Je vois cela comme une expérience en temps réel. Ce seraient des échecs si l'idée de départ, c'était de cartonner. Là, ce sont juste des expériences, des tentatives, des essais... Curiosité, toujours...
Quelle est l’importance pour vous des communautés sur les blogs?
C'est pour moi relativement secondaire. Je ne m'y intéresse pas trop.
Favorisez-vous l’interaction ?
Ca a été le cas assez longtemps mais depuis quelques mois, j'ai plutôt tendance à la compliquer, en modérant les commentaires, notamment. J'ai l'impression que ça pousse les gens à écrire moins de conneries, à plus réfléchir avant de poster n'importe quoi. Si il n'y a pas l'assurance d'être publié, personne ne va se casser la tête à balancer des débilités.
Qu’est-ce qui est le plus important : le nombre de visiteurs uniques ou de commentaires ?
J'aurais tendance à hurler « LE CONTENU » et je serais très sincère en le faisant. Le nombre de visiteurs uniques compte toutefois également, entendu que j'ai déjà sabordé plusieurs projets de blogs qui ne décollaient absolument pas. Les commentaires, j'ai plus tendance à m'en foutre, désormais. Cela fait plaisir d'en voir de bons mais il reste quand même une majorité de foutaises.
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Quelle est votre attitude sur les réseaux sociaux? Y agissez-vous comme journaliste ou à titre personnel? L’utilisez-vous comme moyen de promouvoir votre blog?
Je suis sur Facebook depuis 4 ans et Twitter depuis peu. C'est à titre personnel et c'est principalement de la déconnade entre potes, l'incarnation de la fameuse machine à café virtuelle. Evidemment, dès que je poste sur mon blog ou qu'une pige est publiée, je mets ça en lien sur mon mur Facebook et sur Twitter mais c'est plus devenu un réflexe qu'une promotion consciente. Les liens vers mon travail sont d'ailleurs rarement commentés sur Facebook, les personnes avec qui j'interagis le plus sont vraiment des amis, que je fréquente véritablement dans la vie. En gros, ils s'enfoutent un peu de mon taf, ils préfèrent les grosses blagues, les discussions qui partent en couille et les vidéos à la con. Facebook, c'est plus un moyen pour se donner des rendez-vous au bistrot et partager des liens de films à downloader qu'une façon de promouvoir mon travail, hahaha. Maintenant, moi, j'utilise aussi Facebook et surtout Twitter, où je n'ai là pas (beaucoup) d'interactions avec mes amis, comme une revue de presse, vu que je suis abonné à pas mal de sources qui me servent dans l'écriture de mes articles pour Focus ou dans le repérage de disques, de mixs et de films à chroniquer.
Que pensez-vous des blogs des médias francophones ?
Que du mal, aucun intérêt. Chez Focus Vif, je suis bien tranquille, parce qu'il n'y a aucun enjeu, que ce n'est qu'une revue de presse commentée et un délire sur la nuit. Je n'ai besoin de personne et cela me donne une grande liberté. C'est important, cette liberté, c'est ce qui fait toute la différence. Un mec comme Marcel Sel ne doit rien à personne et c'est pourquoi son blog politique écrase toute concurrence, je pense. Ceux des médias établis, sur le même sujet, se posent trop de questions sur la crédibilité, le respect des sources, composent avec les stratégies des partis, respectent des embargos sur l'info, respectent la langue de bois.
Les mecs derrière se retrouvent à gérer des blogs avec la même approche que lorsqu'il s'agit de gérer la presse traditionnelle et c'est justement cette approche qui fait, selon moi, que la presse coule. C'est rater des opportunités, c'est rater la modernité, c'est surtout rater l'occasion de séduire un public différent. Quand je vois les blogs chez Rossel, par exemple, j'ai l'impression que ce n'est fait que parce que les mecs se sentent obligés de suivre une mode à laquelle ils ne comprennent rien. A part l'autopromotion, il ne semble n'y avoir aucune autre ambition. On dirait vraiment que c'est fait contre le goût des types uniquement pour rester dans le coup. Ce n'est pas jouer avec du neuf, tenter des choses, encore moins anticiper comme cela peut se voir ailleurs, déjà rien qu'en Flandres. C'est tout à fait nul.
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Puisque vous vous êtes lancés dans l’aventure depuis quelques années maintenant... Voyez-vous une évolution, voire une maturation, dans le phénomène du blogging ?
Je vais sans doute vous étonner mais je ne suis pas un grand consommateur de blogs. Donc, je ne me sens pas qualifié pour décider s'il y a ou non maturation. Ce qui est certain, c'est que Facebook et Twitter sont beaucoup plus adéquats pour partager des lolcats, des photos de vacances et des liens jugés intéressants par tout un tas de gens qui n'ont fondamentalement rien de plus à dire. C'était tout de même ça, le contenu principal de beaucoup de blogs, il y a quelques années et ça, ça a migré vers les réseaux sociaux.
De là à dire que les blogs qui restent sont plus ou moins matures qu'avant, je n'en sais rien. J'ai bien une idée du blog idéal, qui n'est pas la même qu'il y a 7 ans, mais c'est tout. Le blog idéal, ce n'est pas un blog personnel comme le mien, qui est beaucoup trop fourretout. Il serait plutôt thématique et à durée limitée : juste le temps de couvrir des élections, de présenter un phénomène social, de raconter les coulisses d'un projet, d'un tournage, de partager une expérience... Comme un auteur multiplie les bouquins, un bloggeur pourrait multiplier les blogs. Davantage s'effacer derrière les sujets.
Quelles seraient les différences notables par rapport au moment où vous commenciez à bloguer?
Quand j'ai commencé, il n'y avait pas Twitter, ni Facebook et sur beaucoup de blogs, on avait ce que l'on retrouve aujourd'hui sur Twitter et Facebook. Donc, je dirais qu'il y a depuis eu transfert des gens qui n'avaient rien à dire des blogs vers ces sites là. Une autre différence, c'est une certaine lassitude envers l'anonymat. Les dernières prises de position des dirigeants de Facebook et de Google mais aussi de l'UMP semblent aller vers une remise en question de l'anonymat sur le web, ce qui était complètement impensable il y a 5 ans.
Je pense enfin que même les geeks les plus allumés qui soutenaient en 2005 que les blogs annonçaient une révolution médiatique de l'ampleur de l'invention de l'imprimerie ont fini par comprendre qu'il n'en était rien et qu'un blog n'est jamais qu'un outil éditorial intéressant mais relativement limité.