jeudi 3 juillet 2025

LE JOURNAL DU QUINCADO (35) : VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS

 



En 1991, je travaillais dans un vidéoclub à Laeken. En semaine, j'y passais la musique que je voulais mais le soir du week-end où Rudy Léonet présentait à la radio une émission de musique de type Madchester, le gérant, un fan, nous l'imposait dans le magasin. J'aimais bien cette musique, même sous son versant le plus radiophonique : les premiers Saint Etienne, Electronic, Primal Scream, EMF... mais je détestais le ton utilisé par Léonet, qui me gâchait tout. Pour moi, c'était la musique de l'excitation, de la modernité, de l'endless summer of love, de l'englishitude, alors que lui la présentait d'une façon que je trouvais trop précieuse et vraiment ridicule. Comme si Macha Méril était soudainement devenue fan du Technique de New Order...


Quelques années plus tard, quand j'ai commencé à me foutre de la poire de Rudy Léonet dans les pages du magazine RifRaf, on a souvent suspecté que c'était par simple jalousie et rivalité journalistique. C'est que Rudy Léonet était très choyé par les labels. Il interviewait des groupes dans des palaces, nous dans des ascenseurs. Comme il en a fait grand cas dans un de ses bouquins, Léonet bénéficiait d'un « access all areas » tandis que nous, on se faisait refuser les pissotières des backstages de Dour, alors que Carlo Di Antonio, l'organisateur-pharaon du festival, était pourtant aussi censé être le directeur du magazine (dont il se foutait en réalité pour ainsi dire complètement).


Il n'y avait toutefois pas la moindre jalousie. Je n'ai jamais voulu de son job. Encore moins taffer à la RTBF. J'ai plutôt cherché à créer le mien, ma marque, affirmer une plume kamikaze non dénuée de fond et, surtout, bien me marrer. Sous haute influence des Guignols de l'Info et toutes proportions gardées, j'ai donc décidé d'être à Rudy Léonet ce que Brunio Gaccio et Benoît Délepine étaient à Jacques Chirac. Me payer la Macha Méril indie-rock des ondes belges.


La rivalité, c'était avec l'autre journal rock gratuit de cette époque, Mofo, qui pratiquait l'ad hominem moqueur d'une façon que je trouvais très ringarde. Les éditeurs de RifRaf n'étaient pas chauds pour publier de l'humour qui nous mette des gens à dos, comme Mofo, mais moi, j'estimais que torpiller Rudy Léonet, Alexandra Vassen et Bernard Dobbeleer plutôt que les cibles plus évidentes et faciles de Mofo valait le coup, y compris pour enfoncer cette concurrence, et j'y suis donc allé avec la légèreté du panzer roulant à la vodka Red-Bull de ma fin de vingtaine. Et puis, plus tard, j'ai continué ça par intermittence sur mon premier blog, dans Zone 02 et même au Focus-Vif.


Est-ce que c'était malin ? Non. Est-ce que c'était méchant ? Oui. Est-ce que c'était couillon ? Pas toujours. Est-ce que je le referais ? Oui. Est-ce que ça m'a professionnellement flingué ? Pas du tout. Il m'est bien quelques fois revenu que Rudy Léonet me confondait avec JC Poncelet de Radio Campus et l'attendait au tournant et était aussi furieux que l'on publie encore mes conneries en roue libre mais contrairement à d'autres, il ne m'a jamais menacé de procès, de cassage de gueule et n'a même pas été chez un journaliste-procureur-justicier chouiner que je n'étais pas du tout cool, voire même carrément toxique. En fait, je pense qu'il n'a même pas cherché à connaître ma tronche, vu que les rares fois où l'on s'est croisés, dans la même pièce mais sans se parler, il était manifeste que je lui étais complètement inconnu.


Autre question : est-ce que cette trollitude serait aujourd'hui encore appréciée et même permise ? Réponse : non. Le golden age des trolls rigolards publiés dans la presse est révolu. Voici le temps des assassins. A l'époque où je me foutais le plus de Rudy Léonet, il n'y avait pas que les Guignols de l'Info qui donnaient le ton. Les Inrocks étaient eux aussi vachement acides à l'égard de certaines figures culturelles, ainsi que le journal Libération sous la direction de Serge July. Sans même parler des Flamands de Humo et des Anglais de la propagande Brit-Pop, où les Frères Gallagher et Jarvis Cocker, entre autres, balançaient un flot continu d'hilarantes énormités. Remember Dennis The Penis? C'était méchant mais drôle et puis surtout, ça tirait dans le tas. Gauchistes, droitards, centristes mous, divas de la fashion, führers d'open-spaces, débiles divers : no escape ! Comme Le Petit Journal époque Pete Doherty mais en plus trash et beaucoup moins geek. 


Aujourd'hui, presque plus personne ne tire dans le tas. Le temps des assassins est au contraire celui des opérations militantes ciblées, d'un journalisme à la Edwy Plenel, à la Médor. A la Judge Dread : I Am The Law. On ne rigole pas, on dénonce, on condamne. On n'est pas juste cynique, on veut changer le monde. On a des pratiques similaires à celles du Mossad tout en se gargarisant de bienveillance. On en fait des caisses à propos de simples faits divers et on succombe par opportunisme crasseux au fameux « On te croit », pourtant l'antithèse même du premier précepte du journalisme.


Des dossiers de deux pages qui ne devraient concerner que les RH d'une boîte ou éventuellement notre équivalent des prud'hommes deviennent des articles destinés à foutre les accusés au ban de la société. Leur faire perdre leur taf, leur réputation, leurs amis. On utilise la presse et les réseaux sociaux comme caisse de résonance pour « gagner » quand il est à peu près certain de perdre en Justice. Et quand quelqu'un publie encore un article kamikaze et simplement fun à l'ancienne, qui tire dans le tas, comme Libé sur Eddy De Pretto il y a quelques années, ça provoque des indignations surjouées. Parce que rire de la poire d'une tomate, surtout homosexuelle et née dans le Quart-Monde, c'est aujourd'hui perçu comme faisant le jeu de l'extrême-droite. 


Je conchie cet état d'esprit et il me ferme en réalité bien plus de portes que ma grande gueule, des chroniques très anciennes ayant irrité une poignée de melons et les quelques casseroles qu'on a essayé de m'attacher au zigouigoui.


Je trouve nul pratiquement tout ce qu'a fait Rudy Léonet au long de sa carrière. Je n'aime pas les débats à la con auxquels participe Nadia Geerts et son amateurisme au moment de parler à la télévision. Je ne pense pas que Julie Taton et Marc Ysaye aient leurs places en politique. Je n'aime pas beaucoup ce que publie Marcel Sel. Je trouve la pizza de Marie Lecoq un énorme fail en termes de communication politique et j'assume totalement être à la source de la requalification de Margaux De Ré en « Députée-Influenceuse ». Et ne me lancez pas sur Sarah Schlitz et son équipe de Deschiens responsable du "Logogate" ! 


Reste que je pense encore et toujours qu'il est beaucoup plus sain de faire savoir tout ça en rigolant, de préférence avec verve et style, plutôt que de pousser une crotte soi-disant « factuelle » et ensuite se fantasmer poser pour la photo le pied sur le dos de la bête abattue, le shotgun à la main. J'en ai après leurs conneries, pas après leurs vies. J'en ai après leur cirque, pas après leurs ressources. J'en ai après leurs postures publiques, pas après leurs vies privées et leurs moments honteux. Ce temps des assassins est d'ailleurs l'une des seules choses au monde qui ne me fasse pas rire. Du tout. Au point de « soutenir » ouvertement des gens que je n'aurais jamais pensé soutenir, qui sont carrément à l'opposé de ce que je pense être bon et beau. Marcel Sel hier, Rudy Léonet aujourd'hui, Margaux De Ré demain si ça devait se présenter.  C'est dire. 


Petit émoji dégueulis, comme disait l'autre.



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vendredi 27 juin 2025

KID MOUISE

 

Mine de rien, « l'affaire Kid Noize » mérite que l'on s'y attarde un peu. A première vue, c'est juste un DJ d'electro de kermesse déguisé en singe qui a visiblement escroqué un organisateur de festival de 2000 personnes en envoyant une doublure masquée prester à sa place. Du LOL, de la barbaque pour l'émission Strip-Tease. 


En creusant un peu, en prenant un chouïa de recul et en oubliant aussi un instant ses propres penchants culturels et esthétiques, cette couillonnade en ce moment très discutée génère toutefois pas mal de questions et de pistes sur notre rapport à la culture, à l'entertainment, mais aussi à la réalité et aux simulacres.


D'abord, les faits. Le 21 juin 2025, dans le cadre de la Fête de la Musique, Kid Noize est programmé le même soir dans trois villes de Wallonie assez distantes les unes des autres : Frameries, Polleur et Attert. Entre ces deux dernières, via l'E25, Google Maps annonce 1h27 de route pour 123 kilomètres. Entre Frameries et Attert, c'est 212 kilomètres et entre Frameries et Polleur, 201 kms, via la E40. Bref, quelqu'un de plus attentif que la moyenne a relevé que c'était tout bonnement impossible que Kid Noize puisse jouer dans un créneau aussi court le même soir dans des endroits aussi éloignés les uns des autres.


Grégory Avau, le gars derrière le masque de singe de Kid Noize, n'a même pas cherché à le nier, annonçant vite qu'il s'agissait en fait d'un nouveau concept : Kid Noize est une marque, un collectif, blablabla. Il y a le « vrai » Kid Noize (lui), en passe d'arrêter les DJ-sets, et puis d'autres (des doublures) qui se mettent à reprendre le flambeau, blablabla. Tout le monde porte quoi qu'il en soit le même masque parce qu'en gros, tu payes pour le singe qui mixe du Daft Punk, tu vois le singe qui mixe du Daft Punk. C'est du show, de l'entertainment, bien davantage qu'une prestation artistique ou même un DJ-set au sens traditionnel du terme.


Le hic, c'est que Avau n'a visiblement déblatéré ça qu'après avoir été booké. Sans prévenir, donc. Dès qu'il lui a été demandé des comptes sur l'impossibilité kilométrique. D'où les accusations d'escroquerie et l'organisateur du festival de Polleur évoquant de probables poursuites en Justice. D'où aussi la déprogrammation de Kid Noize sur quelques festivals encore à venir de l'été 2025.


Il y a une dizaine d'années s'est éteinte d'elle-même une polémique très similaire et je suspecte pour ma part très fort Grégory Avau de s'en être très fort inspiré au moment de tenter de se défendre face aux accusations d'escroquerie mais aussi dans ses idées de développer Kid Noize comme une marque dans les mois et années à venir. 





Décédé en 2020, MF Doom est un rappeur dont les albums restent aujourd'hui très respectés mais qui s'était lui aussi fait choper à envoyer sur scène des doublures masquées à sa place sans prévenir personne. Vers 2007-2008, il a ainsi été remarqué que d'un concert à l'autre, MF Doom ne bougeait pas de la même façon, n'avait pas la même voix lorsqu'il s'adressait au public entre les chansons, perdait ou regagnait quelques tatouages d'un soir à l'autre et changeait même très vite de corpulence.


C'est en 2010 que la supercherie a été totalement « démasquée » (haha), lors d'un concert à Toronto où la doublure s'est carrément faite sortir de scène par le public, obligeant le vrai MF Doom à sortir des coulisses pour finir le concert en personne. Et ce n'est qu'alors que MF Doom, qui a pompé son nom et son masque du personnage de Docteur Doom (Fatalis en français) dans l'univers Marvel, a évoqué le concept des Doombots, lui aussi tiré de la bande dessinée, puisque l'une des caractéristiques du Docteur Doom est d'envoyer des répliques se prendre des pains sur la gueule de la part des 4 Fantastiques tandis qu'il reste bien au chaud dans son château hi-tech de Latvérie.


Mieux : MF Doom a ensuite totalement assumé ce recours aux doublures, faisant mine de totalement se foutre des polémiques que cela générait et ne se sentant même pas gêné de rafler le cachet d'un concert presté par une doublure dans une ville américaine alors qu'il avait pourtant été détaillé dans la presse quelques jours auparavant que le droit d'entrée aux Etats-Unis lui avait été refusé. Comme il n'y a jamais eu de poursuites judiciaires, ni de plaintes pour escroquerie, et que dès 2016 sa santé déclinante a de toutes façons envoyé sa carrière dans les ronces, la polémique avait quoi qu'il en soit fini par s'éteindre d'elle-même.


Alors, quelle suite pour Kid Noize ? Est-ce que son idée similaire de multiples Kid Noize très comparable aux Doombots de Doom peut fonctionner ? Est-ce qu'il va s'en sortir en faisant le dos rond et en surjouant l'arrogance ? A voir. Perso, je doute fort qu'il échappe aux accusations d'escroquerie pour les prestations multiples de cette Fête de la Musique 2025. Il est également clair qu'en cette fin juin 2025 la carrière et la réputation de Grégory Avau tanguent à peine moins que celle de Milli & Vanilli quand il a été remarqué que leurs prestations étaient plus proches de celles du Mime Marceau que du duo soul Sam & Dave.


Mais... Je pense aussi que dès qu'il est clair pour tout le monde qu'il ne s'agit plus de prestations DJ mais de show truqué revendiqué comme tel, le mec peut tirer sa petite entreprise de la crise qu'elle connaît en ce moment. Ca restera de l'animation de fancy-fairs, un truc sur lequel danser un pain-saucisse à la main. Le même jour : Kid Noize 1 au Bal du Bourgmestre d'Oupeye, Kid Noize 2 à la Brocante de Tilff et Kid Noize 3 à l'ouverture de l'Outlet Pimkie de Maasmechelen Village. Peak de cette possible carrière : Kid Noize remplaçant Zwarte Piet une bonne fois pour toutes.


Le grand-public est prêt pour ces conneries. Les pistes de secours en playback et les sets pré-mixés sur clés USB ne choquent plus aujourd'hui alors que lorsque j'étais jeune, celui qui osait un truc similaire risquait le goudron et les plumes. J'ai un jour passé un après-midi entier à causer avec un gars assez connu et très expérimenté qui connaissait fort bien les coulisses du monde musical et les trucages non avoués y étaient selon lui nombreux, y compris chez des groupes internationaux respectés, réputés éthiques et de grande valeur artistique. Moi-même, en 1991, j'ai vu jouer (?) Kraftwerk à l'Ancienne Belgique de Bruxelles et durant une bonne partie du concert, les membres du groupe n'étaient même pas sur scène, remplacés par des mannequins. Ce qui ne m'a pas spécialement dérangé. C'était du show, annoncé comme tel, prétendant même inviter à réfléchir. Le trip Baudrillard. Le virtuel, les simulacres. Visionnaire à l'époque. Banal aujourd'hui. Tellement banal que cela ne m'étonnerait donc pas que l'on en arrive très vite au même concert donné le même soir par des doublures du même artiste dans des lieux différents sans que cela ne choque plus personne. Ce qui se fait déjà via écrans, d'ailleurs. Le tout, étant de prévenir. D'adapter les émoluments et le prix des places.


Kraftwerk et le prix des tickets, parlons-en, tiens. Le 14 août 2025, ils sont annoncés Place des Palais. « Les pionniers de l'electro en plein coeur de Bruxelles ». Nulle part, il n'est précisé que Kraftwerk en 2025 ne compte en réalité plus qu'un seul membre original du groupe, aujourd'hui âgé de 78 ans et accompagné pour le coup de trois Flexyjobs. Nulle part, il n'est précisé que durant une bonne partie de ce concert, il n'y aura probablement pas un seul humain sur scène. Ni que l'acoustique de la Place des Palais est particulièrement dégueulasse. Pourtant, le prix du ticket varie de 80 à 150 balles.


Alors, je n'aime pas du tout ce que branle Kid Noize, je connais à peine ce qu'a sorti MF Doom et j'aime vraiment beaucoup ce qu'a créé et inspiré Kraftwerk. Reste que toutes considérations personnelles à l'égard de leurs vies, de leurs éventuelles légendes et de leurs oeuvres mises à part, il me semble tout de même indéniable que tous devraient avoir leur petit article détaillé dans le Grand Who's Who des Margoulins de la Musique. Certains étant peut-être juste plus couillons que d'autres au moment d'établir leurs contrats et devant surtout arrêter de se présenter comme DJ's alors qu'ils ne sont que des clowns. Depuis toujours. 



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dimanche 4 mai 2025

DE LA BEAUFITUDE EN 2025, N'EN DEPLAISE A ROSE LAMY

 




Qu'est-ce qu'un « beauf » aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être beauf en 2025?


Vous allez me citer des noms, des critères, des pedigrees.


Patrick Sébastien sera, forcément, pointé du doigt.


Cyril Hanouna.


Donald J. Trump. Bart De Wever, David Clarinval. Bouchez. 


Le Télévie, Vivacité. La RTBF et Bel-RTL pour l'ensemble de leurs oeuvres. TF1. La télé-réalité. 


Ce n'est pourtant pas si simple.


Déjà, parce que le concept même de beaufitude est une invention française et nous ne sommes pas français (moi, du moins).


C'est Cabu, dans Charlie Hebdo, au début des années 1970, qui se met à caricaturer sous le terme de «beauf» le Français (boomer) moyen et médiocre. Veule, peu cultivé, macho, raciste, con. De droite, le plus souvent. Ou du moins, de centre faussement mou. Les Bronzés, quoi. Surtout les personnages de Jugnot et Blanc.


Jean-Pierre Marielle en joue une tripotée au cinéma. Cela fait rire. En 1975, Yves Boisset fait toutefois basculer le concept dans le cauchemar prémonitoire avec son formidable Dupont-Lajoie. Pas du tout la même ambiance que Les Galettes de Pont-Aven. La beaufitude côté sombre. La classe moyenne faussement bonhomme, crapuleusement ordurière. Dupont-Le Pen.


Le beauf reste, cela dit, un concept très franco-français. En Wallonie, un baraki n'est pas un beauf : plus proche des prolos manipulés par Strip-Tease, voire de la famille de Massacre à la Tronçonneuse, que des rôles d'époque de Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet. Un baraki, c'est le Quart-Monde, alors que le Beauf à la Française se dégotte plutôt en Belgique francophone parmi les notaires, les agents immobiliers, les antiquaires, les restaurateurs à 15 tables minimum la baraque à frites et les vendeurs de bagnoles.


En Flandre, oubliez tout. Le Voight-Kampf à beaufs n'y a plus de réseau. Même les millionnaires y aiment les saucisses dégoulinantes de sauce Samouraï, le foot et les farandoles sur Marina, Marina.


Aux Etats-Unis, on a bien les Rednecks et les White Trashs mais là aussi, on est plus proches du Quart-Monde que du beauf à la Cabu. Pas non plus pareil en Angleterre : les Chavs et les Lads ain't really beauf, don't they ?


Bref, voilà bien un concept social ouvert à tellement de particularismes locaux que chacun peut s'en fabriquer une définition personnelle, selon sa propre position sur Google Maps.


Adolescent, moi, c'est ainsi devant Jaws de Steven Spielberg que j'ai ressenti le plus gros tsunami de beaufitude. Emanant de la plupart de mes profs de gymnastique, aussi. Et dans l'airco de discothèques comme le Palladium de Baisy-Thy et la Doudingue de Waterloo. En fort résumé, je pense donc que la beaufitude tient davantage du « virus mental », comme dirait un autre beauf selon moi notoire, Elon Musk, que d'une carence culturelle associée à une classe sociale.


Voilà pourquoi je tique « mais alors grave » lorsque je lis sur  le site de la RTBF ce dimanche 4 mai 2025 que Rose Lamy, militante féministe française qui vient de sortir un essai titré « Ascendant Beauf », se contente de définir la beaufitude comme relevant d'un simple «déficit culturel ».


Non mais allô, quoi ? Ca vous arrive de travailler vos angles, les féminazes ? (Nazes, pas nazies!)


Beauf, c'est une orientation, une mentalité. Une finitude. 


Cela n'a strictement rien à voir avec le « mécanisme d’un mépris de la part d’une bourgeoisie intellectuelle et bien-pensante envers les classes plus populaires. »


C'est une fainéantise de l'esprit, largement et démocratiquement distribuée dans la société actuelle. J'ai ainsi vu, vraiment vu, de mes propres yeux vus, autant de beaufitude dans les galeries d'art de la digue de Knokke-Le-Zoute - où sont exposés des sous-Basquiat peints avec le pied gauche et des bouledogues en plastique hors de prix bien que produits à la chaîne en Chine- qu'à la Foire de Liège un samedi soir de novembre ; quand le Tout-Wanze en complet Adidas/Vuitton de Thaïlande descend se faire un tir aux craies et un remake de Furiosa en auto-tamponneuses. Au son des Démons de Minuit remixés techno oumpapa.


Ce n'est pas la différence crasse de classe sociale, les codes vestimentaires aux antipodes les uns des autres (encore que) et les supposées différences d'accès à la culture qui m'ont sauté aux yeux en comparant cela. C'est la similitude du manque de curiosité, de l'acceptation de la médiocrité, de se contenter de bouffer ce qui se trouve dans les gamelles les mieux exposées, les plus facilement bouffables.


Le fast-food pour cerveaux. La Zomblardifiction quasi générale. Zéro oppression d'une strate sociale sur l'autre, juste deux bulles indépendantes du multivers qui se rejoignent sur un seul et unique point : la paresse du ciboulot. Le bouton off bloqué. Riches zomblards, pauvres zomblards : il n'y a que le tarif de ce qu'ils consomment qui change. Ca n'en est pas moins la même merde, à peine déguisée, à peine updatée. Du toc. 


Moi, je n'oublie pas que fut un temps pas si lointain où la culture du petit peuple, des déclassés, des opprimés mais aussi de la bourgeoisie, c'étaient Les Mystères de Paris, Alexandre Dumas et Victor Hugo. Qu'avant d'être brainwashés par Big Brother et TikTok, les paysans irlandais et la working class britannique situaient parfaitement Dylan Thomas, William Blake et Thomas Hardy... Plus tard, les Beatles, les Stones, la soul et Joy Division. Peut-être même la techno et un certain hip-hop. Que jeune, ma génération, peu importe sa classe sociale, consommait aux chiottes Ellis, Selby et Despentes. Pas des morning routines sur Instagram. Pas des Reels d'Angele. 


Bref, je pense que l'exploitation de la beaufitude n'est pas tant une histoire de lutte et d'exploitation des classes qu'une manipulation à très grande échelle des marchés culturels mondiaux. Un nivellement par le bas en mode arrosage grand angle. Réfléchi. Voulu. Calculé. Optimisé. Oubliez French Connection et Chinatown pour les uns, Steven Segal et Chuck Norris pour les autres, voici le Marvel Cinematic Universe pour toustes et toutses. Arrêtez de lire des romans aux gogues, voici des images qui bougent et changent toutes les 30 secondes. Abracadabra. 


On peut résister. On doit résister. Il est même très très gai et fort enrichissant de résister. Prolos comme bourges, intellectuels comme demi-mongolos.


Vraie question : Rose Lamy entend-t-elle un jour résister ou a-t-elle déjà capitulé ?



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mardi 29 avril 2025

AU SUJET DE LA PROGRAMMATION DES ARDENTES : 2 MANY KAREN'S.

 

Revoilà la petite pelletée de féministes 2.0 nous sortant leur petit sketch annuel au sujet du manque de femmes dans la programmation du festival d'été liégeois (largement hip-hop) Les Ardentes. Scandale à leurs yeux : « sur environ 130 artistes dévoilés, seuls 25 s'identifient comme des femmes, personnes intersexes, non binaires, trans ou agenres (Finta). »


Réponse, logique, du programmateur Jean-Yves Reumont : « Dans le milieu hip-hop et rap, qui est l'ADN des Ardentes, encore plus que dans d'autres genres musicaux, la production féminine reste malheureusement très minoritaire ».


Que le bankable du moment en matière de hip-hop commercial soit de la bite est un fait avéré. Tout comme tient également du fait inchicanable que les femmes elles aussi bankables dans le genre sont le plus souvent des mégastars impayables à la Beyoncé, Rihanna, etc... C'est la réalité du marché. Un autre fait avéré : les Ardentes sont une entreprise commerciale, pas un cursus d'éducation permanente sur la parité et les inégalités de genre.


Le festival a, me semble-t-il, choisi de se focaliser sur le hip-hop parce que c'est ce qui cartonne en ce moment, sans aucune pensée militante ou revendicatrice. Les Ardentes cherchent à être au hip-hop ce que Tomorrowland est à la culture électronique. Un festival ouvertement commercial, à la programmation axée sur le « facile ». C'est critiquable, bien entendu. Mais, justement, quand on critique Tomorrowland, c'est que l'on est généralement plutôt client et admirateur du Mutek, du Sonar ou, à un niveau plus local, du festival Listen, non ?


Des festivals à la programmation plus variée, plus aventureuse, plus osée. Avec un côté justement militant, revendicateur. On ne s'y contente pas d'une queueleuleu d'artistes connus sur TikTok faisant taper dans les mains, on y présente le panorama d'une culture spécifique : ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce qu'elle devient. On y pose aussi les questions de marchés, de stéréotypes, de structures, d'avenirs, d'inclusivités, de révolutions dans les têtes et les pratiques...


Autrement dit, qu'est-ce qui empêche ces collectifs féministes d'organiser leur propre festival hip-hop plutôt que de désormais chaque année chicaner la programmation des Ardentes ? Un Off, une alternative, une concurrence... selon leurs propres priorités, selon leurs propres kifs ? Durant mes vertes années, j'ai connu bien des cultures musicales alors émergentes qui furent dans un premier temps ignorées et même moquées et dénigrées par l'establishment culturel.


Le rap fut ainsi expédié comme une mode disco qui allait durer six mois, le punk comme une activité de branleurs, la house comme de « la musique de pédés », l'electro comme tenant du playback et la techno comme juste un truc de nazis drogués.


Je ne vais pas ici refaire l'histoire de chacune de ces musiques, de chacun de ses dossiers. En gros, on sait comment ça a tourné, à chaque fois : tous ces artistes, tous ces genres, se sont développés dans les marges; dans leurs mondes, dans leurs alternatives, dans l'underground, avant d'être un jour éventuellement admis, voire récupérés, par l'establishment.


Il se fait que l'idée d'un festival hip-hop paritaire me semble très utopique et une utopie culturelle, ça se travaille donc, justement, dans les marges. C'est pourquoi je pouffe quand je lis que ce collectif féministe dénonce le manque de personnes Finta dans les équipes de programmation des Ardentes comme « une des causes principales du manque de représentation de ces artistes sur les scènes des festivals. »


Parce que ça ressemble drôlement à l'arrogance de gens sortis de nulle part bien décidés à expliquer la life et un métier à des programmateurs qui ont pourtant plus de vingt ans d'expérience. Des militantes qui n'y connaissent strictement rien en matière de budgets, de ciblages de public et de transactions contractuelles avec des agents internationaux mais vont quand même aller déblatérer des généralités sur le sujet. Voire du hors-sol total. Tout cela avec derrière l'oreille l'idée de juste rafler le job des mecs en place, persuadées de pouvoir faire mieux.


Et bien, fais-le, alors. Montre que ton utopie ne tient pas juste de la rêvasserie d'un groupe Whatsapp. Rends la séduisante, convaincante. Crées ton kif plutôt que de vouloir détourner et même voler celui des autres. Rejoins la grande histoire des entreprises culturelles émancipatrices plutôt que celle des comités ronchons. Sors de ta tablée de Karen's et travaille au futur que tu désires tant plutôt que d'attendre un résultat qui ne viendrait que de pressions et de dénonciations à la Adolfa Ramirez; à l'aide de médias complices zappant toute idée de remise en cause de tes arguments neuneu, et de stories sur Instagram invisibles au-delà de ta clique braillarde. 


Get a life, j'ai envie de dire. 


Mais ça va encore être mal pris.


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samedi 5 avril 2025

VIE ET MORT D'UNE CERTAINE IDEE DE PIGE CULTURELLE

 


Jeudi 3 avril 2025 à Ostende, passant devant le Kursaal, je m'esclaffe à la vue des concerts annoncés : George Michael, Arno, Queen, Elvis... Que des morts ! Mais aussi Depeche Mode, Simple Minds, U2, Dire Straits et Elton John... Que des faux ! Le lendemain, rentré à Liège, je zone sur Facebook et me voilà devant le programme du Spirit of 66, la salle blues-rock de Verviers. Sur seize noms annoncés pour ce mois d'avril 2025, six sont des « tributes » : à Taylor Swift, à Electric Light Orchestra, à Muse, aux Scorpions, à Queen et à Michel Berger.


A part sur des braderies et le samedi après-midi dans des rues commerçantes devant un étui à guitare où jeter des pièces, je n'ai jamais vu un seul groupe entièrement consacré à des reprises de ma vie. Je ne cherche pas ici à me montrer méprisant : que des musiciens choisissent d'en imiter d'autres ne m'est pas du tout scandaleux. Je peux même très bien imaginer fort apprécier une soirée dans un bar où Adam Green reprendrait 15 chansons de Jonathan Richman et que de faux Cramps animent un futur anniversaire bien déglingosse. Où est d'ailleurs la limite dans l'imitation ? LCD Soundsystem n'est-il pas qu'un tribute-band à peine déguisé aux Talking Heads et au Bowie de 1980, autrement dit au guitariste Adrian Belew ?


Quoi qu'il en soit, disons que le groupe de reprises tient pour moi davantage de l'animation que de la culture. Ce qui explique aussi que je n'avais jusqu'ici pas trop percuté que des « tribute bands » se programmaient désormais presque autant dans de « vraies » salles que les « vrais » groupes. Que certains faisaient même de « vraies » tournées et pas que sur des fancy-fairs. Comme le virus du journalisme culturel n'est pas encore totalement éradiqué de mon intestin grêle, j'ai dès lors pensé que c'était peut-être une bonne idée de sujet à proposer à une gazette. Et que fait-on aujourd'hui quand on a une idée de sujet dont on ne sait rien ? On se tourne vers l'Intelligence Artificielle, histoire de se faire présenter un topo général et de voir ensuite si ça vaut vraiment la peine de creuser davantage.


« Existe-il un boom actuel des tribute bands ? », ai-je donc demandé Grok 3. Voici sa réponse, que je me suis permis d'éditer et de résumer :


« Oui, on peut effectivement parler d’un boom actuel des tribute bands, ce phénomène semblant s’amplifier ces dernières années. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance observable à travers le monde, notamment en Europe et aux États-Unis. D’abord, la nostalgie joue un rôle clé. Les tribute bands permettent aux fans de revivre l’expérience de groupes légendaires qui ne tournent plus, soit parce qu’ils se sont séparés, soit parce que certains membres sont décédés. Par exemple, des groupes comme The Beatles, Queen (dans sa formation originale avec Freddie Mercury) ou Pink Floyd attirent toujours un public fidèle, et les tribute bands comblent ce vide en recréant fidèlement leurs performances. Cette demande est particulièrement forte chez les générations qui ont grandi avec cette musique, mais aussi chez les plus jeunes qui découvrent ces classiques via des plateformes comme Spotify ou YouTube. »


« Ensuite, l’accessibilité financière est un argument de poids. Les concerts des grandes stars actuelles ou des groupes encore actifs peuvent coûter des centaines d’euros, tandis que les tribute bands offrent une alternative abordable, souvent dans des salles plus petites et intimistes. Cela démocratise l’expérience du live, rendant la musique accessible à un public plus large. Les chiffres appuient cette popularité croissante. Par exemple, une étude de Slingo (2024) a montré que Brit Floyd, un tribute band de Pink Floyd, a généré 481 100 recherches en ligne entre juillet 2023 et juillet 2024, loin devant d’autres acts similaires. De plus, des festivals entiers dédiés aux tribute bands, comme le Tribute Fest aux États-Unis (lancé en 2009), attirent des milliers de spectateurs chaque année, preuve d’un engouement qui ne faiblit pas. »


« Enfin, la professionnalisation du secteur y contribue. Les tribute bands ne se contentent plus de jouer dans des bars locaux ; beaucoup, comme Queen Extravaganza ou The Australian Pink Floyd Show, remplissent des salles de concert prestigieuses et investissent dans des productions sophistiquées (costumes, éclairages, son). Certains artistes originaux, comme Roger Taylor de Queen, ont même adoubé ces hommages, renforçant leur légitimité. En somme, oui, il y a un boom des tribute bands en ce moment, porté par la nostalgie, l’accessibilité et une qualité croissante des performances. Ce n’est pas qu’une mode passagère : c’est une réponse à un besoin culturel et émotionnel bien ancré. »


Deuxième question, portant sur le topo local. Réponse de Grok 3, toujours résumée et éditée :


« Voici quelques noms qui se démarquent sur la scène belge des tribute bands, souvent reconnus pour leur qualité et leur popularité : U2be, Belgian Quo Band (Status Quo), Magnetica (Metallica), Bruce Brothers (Springsteen), Slash N' Roses... (...) Il y a aussi des tribute bands qui rendent hommage à des artistes belges, ce qui ajoute une touche locale unique. Par exemple, des groupes comme Clouseau Tribute (inspiré du célèbre duo pop flamand) ou des hommages à Benny Neyman (chansonnier néerlandophone) montrent que la scène ne se limite pas aux icônes internationales. Ces projets attirent surtout un public attaché à l’identité culturelle belge, flamande ou wallonne (...) Les chiffres confirment indirectement que ça marche vraiment bien : des groupes comme ceux-ci remplissent des salles comme le Spirit of 66 à Verviers ou des événements locaux, et certains, comme U2be ou Magnetica, exportent même leur talent hors des frontières. La Belgique, avec sa diversité linguistique, voit aussi des tribute bands adapter leur répertoire : en Flandre, on préfère peut-être les hommages rock anglophones, tandis qu’en Wallonie, des tributes à des artistes francophones (Johnny Hallyday, par exemple) ont aussi leur place. En résumé, les tribute bands en Belgique, c’est un marché florissant avec des "stars" locales qui brillent par leur professionnalisme et leur proximité avec le public. »


Peut-être que je suis complètement rouillé ; peut-être qu'après avoir lu ça, je n'en ai tout simplement plus rien à foutre. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas trop quoi rajouter, quelle autre question poser. Le sujet est plié. Je n'ai pas l'impression qu'aller ensuite interviewer le chanteur des Bruce Brothers et le programmateur du Spirit of 66 apporterait à un article sur les « tribute bands » autre chose que de l'habillage humain ; autrement dit du remplissage. Je me vois d'ici poser trop de questions dont on devine pourtant déjà les réponses à la lecture de Grok 3. Si l'un de ces chanteurs/imitateurs est particulièrement extravagant ou taré, il y a certes un reportage à la Strip-Tease à faire sur sa fraise ; autrement dit entamer une approche du sujet plus critique et créative, mais à un niveau strictement informatif et neutre, Grok 3 me semble plutôt très bien avoir fait le job, en quelques secondes et pour zéro balles... Même s'il faudrait idéalement un peu repasser derrière, fact-checker quelques trucs. 


Je ne vois dès lors pas très bien comment le journalisme culturel strictement informatif peut survivre et devrait même survivre. Ca fait un bout de temps que je critique le métier et lui prophétise l'Apocalypse mais là, on y est vraiment. This is the end. Pourquoi payerait-on encore un humain pour récolter et synthétiser une info que l'IA balance en quelques secondes ? Pourquoi payerait-on encore un humain au tarif du litron d'huile de coude alors que son job, faute de temps et de budget, consistera justement à enrober de disons 30% d'habillage « humain », plus ou moins inutile et plus ou moins principalement destiné à la légitimation déontologique, les 70% d'infos de fond fournies par l'IA ?


C'est d'autant plus the end que nous traversons par ailleurs une époque où l'approche humaine, que j'idéalise donc personnellement créative et critique, serait a priori plus de la pignolade militante à la mode du jour (du genre des articles sur le manque d'inclusivité de la programmation des Ardentes) que de l'humour et de l'érudition à l'ancienne; comme dans les vieux papiers sur la scène punk-rock de Los Angeles par Philippe Garnier, par exemple. D'autant plus que quiconque ferait ça aujourd'hui serait sans aucun doute aussitôt perçu comme un « tribute journalist » à Alain Pacadis, Lester Bangs et autres Nick Kent. Du revival, de l'imitation, de la nostalgie pure. Good night, and good luck, folks.


PS : l'illu est également l'oeuvre de Grok 3, cela va sans dire...



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vendredi 17 janvier 2025

KINOCOSMANI (6) : DAVID LYNCH ICI OU QUOI ?

 


Je ne sais plus très bien où, lors d'une randonnée en forêt, je me suis retrouvé seul sur un sentier qui longeait un camping abandonné sous un viaduc tout aussi abandonné et il y avait un bruit continu pas du tout effrayant mais bizarre, ennuyeux, que je ne pouvais ni identifier, ni localiser. David Lynch ici ou quoi ? Un 15 août à Liège, dans les années 80, une mère ivre qui ressemblait à Popeye nous a proposé une partouze avec sa fille, quant à elle plutôt jolie. David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de bistrots où tu rentres pour un café, pisser ou t'achever et en ressors direct parce que... David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de mauvaises descentes du dimanche et de gueules de bois dégueulasses où pointe l'angoisse de vivre « un truc à la Bill Pullman dans Lost Highway », c'est-à-dire flipper devant un mur vide de toute décoration. David Lynch ici ou quoi ?


Le nombre de soirées en appartements où ça vire au glauque, pas forcément sur Roy Orbison, avec une femme grosse qui rit beaucoup trop fort et un type qui se dandine seul en regardant le sol... David Lynch ici ou quoi ? Dans la gare centrale de Lisbonne, un clochard me menace avec la pointe d'un stylo Parker et personne ne bouge, n'intervient, personne ne semble même nous voir. David Lynch ici ou quoi ? A Berlin-Est, un ou deux ans après Le Mur, un rez-de-chaussée ouvert sur la rue où un sosie de Carmen Cru au genre indéterminé fait bouillir des patates tandis qu'un type joue du violoncelle, très mal. Que faisons-nous là ? On était pourtant venus pour la techno ! David Lynch ici ou quoi ?


Checker par curiosité le Facebook de la locataire du rez-de-chaussée expulsée deux jours avant notre arrivée et y lire que le propriétaire l'a empoisonnée au CO2 dans le cadre d'un complot mondial. Rire et puis quand même un peu flipper à cause d'une odeur non identifiée dans l'appartement. David Lynch ici ou quoi ? En 2025, être toujours incapable de dire « je vais me brosser les dents » sans penser à Dale Cooper et encore donner le nom de Ronette Pulaski à toutes les brunes mal nourries à l'air égaré qui marchent dans les rues de la ville. David Lynch ici ou quoi ? Une mixtape avec du classique, du doo-wop, du dreamy stuff, de la country, des crooners, des tubes sixties et Nine Inch Nails... David Lynch ici ou quoi ? L'électricité qui déconne dans un vieil ascenseur en bois. David Lynch ici ou quoi ? Découvrir Charleroi n'importe quand, Ostende en hiver à 20h00 et la route Dieupart à Aywaille, ce Twin Peaks wallon... David Lynch ici ou quoi ?


Voilà. De David Lynch, il y a des films que j'aime vraiment beaucoup, d'autres que je déteste tout aussi cordialement et même un que je n'ai toujours pas regardé. A vrai dire, je n'ai même jamais vu Twin Peaks dans son intégralité, ayant sauté pas mal d'épisodes, y compris dans les années 90. Reste que si le cinéma de David Lynch n'est pas toujours ma tasse de café bien noir foutrement bon, je reste donc sensible aux lyncheries : ces angoisses plus ou moins diffuses, ces névroses plus ou moins marquées et ces embrouilles plus ou moins délirantes.


Suis-je devenu perméable au « lynchéen » de l'existence suite aux impacts de Blue Velvet, d'Eraserhead, de Wild at Heart et des meilleurs passages de Twin Peaks ? Sans doute. D'autant que c'était « le cinéma de mes 20 ans », la hype alors totale. J'avais déjà bien compris qu'en matière d'horreur, je préférais le tordu torturé et le bien bizarre à Vendredi 13 et Freddy Kruëger et la Lynchmania m'a définitivement fait basculer non seulement les goûts mais aussi la façon de voir les choses. Accepter certaines angoisses, certains délires perso. Parvenir à un recul amusé. Me sentir moins seul, moins border-cinglé.


Bref, David Lynch n'était certainement pas mon cinéaste favori mais il a été un foutu bon psy. Ce qui est plus important et excuse tout le reste. Sauf « Dougie » dans Twin Peaks, The Return. Le trou du doughnut n'en est pas moins indigeste depuis hier soir. RIP, l'Artiste !




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lundi 2 décembre 2024

LE JOURNAL DU QUINCADO (34) : NO FUN TO HANG AROUND

 


Décembre 2024 - Instagram me dit que je passe en moyenne un quart d'heure par jour sur l'app. C'est vrai : seulement en faisant caca et plus rarement lorsque je me réveille en pleine nuit et ne sait pas trop quoi faire en attendant de me rendormir. Facebook, que je n'utilise que sur ordinateur, jamais sur smartphone, ça ne doit pas être beaucoup plus. Je ne l'ouvre d'ailleurs plus que parce que c'est lié à Messenger. Blue Sky et Threads, trop récent, no personal data. Reste X, alias Twitter. J'y ai passé cette année un temps dingue, le plus souvent en mode vache qui regarde passer les trains; bien que je m'y sois aussi trop souvent et trop longuement chamaillé. A l'ancienne.


Précision importante : je n'ai jamais kiffé Twitter et je ne trouve pas le X facho-friendly de Musk fondamentalement différent du Twitter neuneu-power de Jack. Depuis le début, c'est une plateforme particulièrement fréquentée par les peigne-culs, les attention whores, des no-lifes à la pelle, les militantes gnangnans et de pures petites saloperies. Trop peu de rigolos, trop peu de curateurs intéressants. Ce qui a changé depuis Musk, ce qui s'est incontestablement considérablement dégradé, c'est l'expérience-client. Du moins avec la version gratuite. De ce que j'en ai vu, la payante est en effet plutôt correcte. Grok, l'IA intégrée, m'a même semblée carrément soufflante. Mais je n'ai aucune envie de payer ce bouzin; ne fut-ce que pour me protéger d'une addiction imbécile et ne pas participer à l'effort de guerre culturelle du Patron.


Donc, je me tape un algo golmon, des liens ghostés, du blocage compliqué, la coulée continue de débilités dans la partie « Pour Vous » et des pubs intrusives pour des produits que même Action et Lidl refusent de vendre. Ca lasse et c'est ce qui me fera abandonner X. Dans pas longtemps. En gros, je me fous des élans politiques de Musk, que je trouve toujours beaucoup plus cringe que faf (bien que...). Il ne m'inquiète pas et je suis déjà quasi certain que sa participation au gouvernement Trump 2 va tenir du cirque et se terminer dans la cabriole de gros phoque. 


Ce qui me dérange surtout en tant qu'utilisateur de son réseau social, c'est donc qu'au moment d'imaginer comment rendre sa petite entreprise chaud-boulette, intelligente et agréable, il a les mêmes emballements que Cyril Hanouna. BIGLY SAD, comme dirait son nouveau best friend. DEAD AS FUCK, j'ajouterais pour ma part. Façon de parler, vu que ça bouge encore et continuera de bouger. Mais c'est comme la télé, que j'ai personnellement considérée dead as fuck dès que l'on est passé de la programmation de films du Nouvel Hollywood à 20h30 et de shows rock and roll en deuxièmes parties de soirées aux coulées continues d'émissions de cuisine et de castafiores beuglantes. C'est dead as fuck ... to me. Avec ou sans Musk, ça continuera quoi qu'il en soit à fabriquer les fascistes, les islamistes et les pastèques trotskystes ; à entretenir la castagne, diviser, détruire toute notion de nuances; encourager la foire d'empoigne permanente, ainsi que les débordements IRL.


Il y a déjà un bout de temps, en juillet 2019, voici d'ailleurs ce que j'écrivais à ce propos (Crash Test SO4E45 sur le site du Focus Vif) :


« C'est quoi, Twitter ? Un forum démocratique ? Un tribunal permanent ? Le goutte-à-goutte de dopamine de milliers de junkies ? Le principal théâtre des opérations de la guerre culturelle en cours ?  Alors, c'est vrai que la droite réactionnaire et les justiciers progressistes s'y engueulent à longueur de journées. C'est vrai que l'on a d'un côté ceux qui défendent la liberté d'expression surtout pour garder le droit d'étaler des stupidités sur les Musulmanes en burkini et de l'autre les évangélistes de gauche qui se battent pour un monde meilleur à côté duquel le Meilleur des Mondes ressemblerait à quelque-chose d'enviable.


(...) Aux vrais maîtres du monde, Facebook et Google vendent du data mais chez Twitter, ils ont quoi en stock ? Une expérience de sciences sociales en temps réel. Et donc, ils vendent de l'ingénierie sociale. Or, la psychologie des foules, les effets de meutes, le cloaque comportemental, la propagation des rumeurs, tout ça, on connaît. C'est vieux, donc pas rentable. En revanche, il y a un truc que l'on ne sait pas vraiment, c'est comment peut naître une doctrine totalitaire inédite, là, maintenant, aux débuts du XXIème siècle (...)


LA question pour le moment sans réponse, c'est : en Occident, après Hitler, après Staline, après la Shoah et après 75 ans de paix relative dans un environnement capitaliste plutôt libéral et technologiquement avancé, comment construit-on une idéologie totalitaire ? Et bien, moi, je pense que l'on a besoin de Twitter pour ça et que donc, c'est probablement là que mijote en ce moment même le corpus dogmatique du prochain tyran (F/M/X) qui fera souffrir et anéantira des millions de personnes.


Ce n'est pas encore au point. C'est encore très confus, fort brouillon. Peut-être même que ça commence comme un sketch : quelqu'un avance que l'humour doit toujours être dirigé contre les puissants, quelqu'un d'autre renchérit que rire de la gourde rouge à Greta, c'est verboten. Des petits clubs se forment où pratiquer l'indignation récréative. Ils gagnent quelques combats : faire virer des gens de leurs boulots pour des blagues aussi douteuses qu'inoffensives, transformer la beaufitude en délit, parvenir à faire considérer des produits culturels comme du matériel contagieux... De moins en moins au second degré, viandards et automobilistes sont désignés comme des dangers pour la survie de l'espèce, des freins à l'évolution humaine.


Toutes ces petites opinions extrémistes mais anecdotiques se propagent, s'amalgament et finissent par inspirer des programmes politiques et des lois. Et paf, un jour, tu te retrouves fusillé ou pendu parce que dix ans plus tôt, t'as écrit que Greta Thunberg te faisait penser à Sergio Honorez avec des couettes. Science-fiction parano ? J'espère bien. Mais qui peut être sûr que ça n'arrivera pas ? Qui peut être sûr que la mission de Twitter n'est justement pas de mener à l'avènement d'une idéologie totalitaire inédite, pensée et likée par le plus grand nombre et servant surtout d'alibi à gazer des millions de gens, au nom de la survie de l'espèce ? »


Okay. En attendant, vivons. Ailleurs. 




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