Marathon Man, 1976. Dustin Hoffman torturé par le dentiste sadique (« Is it Safe ? »), la CIA finançant la retraite américaine d'un criminel de guerre nazi. Avec les 3 Jours du Condor, Conversation Secrète et l'Affaire Parallax, ce film reste aujourd'hui encore l'un des tous gros classiques du thriller paranoïaque, toutes périodes confondues. Une carte postale du New-York en faillite de ces années là, aussi. Il n'est pas parfait, cela dit : rythme un peu foutraque, grand-guignol, incohérences (« mais qu'est-ce qu'une célébrité nazie censée rester cachée irait foutre dans le quartier juif ? »). Ce n'est pas de l'art, c'est un blockbuster, du cinéma commercial. Pas grave. C'est fabriqué pour faire plaisir aux adultes, les divertir. C'est toujours mieux que Deadpool & Wolverine.
Marathon Man, 1974. Avant le film, le bouquin. Signé William Goldman. Qui n'est pas n'importe qui ; surtout connu comme scénariste majeur du Nouvel Hollywood (Google it!) Il y a quelques différences notables entre le livre et le film. Disons que le bouquin est davantage brut de décoffrage, tenant un peu plus de la série B que ce qui a été transposé à l'écran. Plus de violence, plus de sexe. La transformation du personnage de Thomas « Babe » Lévy (Dustin Hoffman au ciné) y est drôlement plus « virile » aussi, puisque le timide étudiant en lettres devient carrément le Vengeur Ultime de la Shoah ; alors que dans le film, tout est beaucoup plus ambigu, que Babe Lévy a même tout l'air de sortir assez brisé de ses mésaventures. Il y a également dans le livre une romance homosexuelle surlignée entre l'agent de la CIA interprété à l'écran par Roy Scheider et son supérieur ; ce dont il ne reste pour ainsi dire qu'une ou deux allusions même pas vraiment compréhensibles à l'écran.
Et maintenant, le LOL.
Dix ans plus tard, en 1986 donc, William Goldman sort en librairies Brothers. Qui est, en quelque sorte, Marathon Man 2. J'écris « en quelque sorte » parce que si Marathon Man reste une intrigue plutôt crédible et un sommet du thriller paranoïaque, ici, on est drôlement plus proche de la couillonnade pif paf pouf à la Jean-Claude Van Damme. Jugez plutôt : alors que pourtant tué dans le premier livre et dans le film, Scylla (Roy Scheider l'écran) est... ressuscité par son employeur. Caché durant 10 ans sur une île déserte oubliée des radars, où il reprend des forces en nageant en rond plusieurs kilomètres par jour, en montant aux arbres et en donnant durant des heures et des heures des coups de poing dans le sable. On lui a changé le visage, ce qui permettra plus tard de le réintroduire dans le « game » sous forme de fantôme tueur.
Le game, parlons-en. On est encore en pleine Guerre Froide et histoire de bien niquer les Soviets, des savants un peu fous fabriquent dans l'intérêt supérieur de la nation américaine des armes moins létales mais plus vicieuses que les bombes nucléaires. Un gars a ainsi créé un parfum qui soumet mentalement quiconque le renifle. Histoire de le tester, il fait enculer un macho bagarreur, raciste et homophobe par un grand Noir bien monté. Ce qui nous prend bien 20 pages. Le principal concurrent de ce chercheur a, de son côté, créé des enfants explosifs. Ouais, ouais. Même que deux d'entre eux ont pour prénoms Stan et Ollie.
Ajoutons encore que Scylla bute bien une trentaine d'agents de sa «division » et plusieurs de ses supérieurs sans que l'on n'en comprenne toujours bien la raison et qu'il y a des scènes de cul que même moi je trouve découler de la masculinité toxique et de la culture du viol. La fin est sinon assez proche de celle des Watchmen -de la SF pure donc- mais avec ces fameux enfants explosifs à la place de la pieuvre géante inter-dimensionnelle.
Bref, c'est vraiment n'importe quoi. Proche d'un SAS torché par Gérard De Villiers sous LSD. Assez beauf et cochon. Le genre de truc dans lequel même Nicolas Cage refuserait de jouer alors que c'est pourtant censé être la suite d'un classique indiscutable. Et je n'exagère rien ! Tout est vrai ! Selon Wikipédia, William Goldman fut même tellement navré du résultat qu'il n'écrivit ensuite plus jamais de roman; alors qu'il allait pourtant encore vivre plus de trente ans et que la littérature était pour lui une source financière importante.
Bien entendu, cette imbécillité a jadis été traduite par les éditions J'ai Lu, toujours disponible dans la collection Suspense sous le titre « Les Sanglants ». Un grand classique des boîtes à livres, une véritable Ode à la Nécessité du Pilon. L'une des curiosités les plus WTF sur lesquelles je suis tombé, pour ma part. Autant prévenir ! Sait-on jamais, sur un malentendu... (RIP, Michel Blanc!)