Je
crois que c'est une grande chance que j'ai vécu les années 80, que
ma façon de penser et mes goûts culturels s'y sont développés.
Dans les magazines que je lisais (Starfix, Rock This Town...), les
journalistes avaient souvent le verbe haut et joyeusement trash,
jamais derniers pour la pignolade et la polémique. Non seulement,
c'était amusant à lire mais en plus, cela développait vachement
bien le sens critique. On n'était, par exemple, jamais certains que
ce qui était publié relevait vraiment du premier degré. Ca
apprenait à relativiser, à mieux appréhender un humour qui relève
de ce que l'on appelle à Bruxelles la zwanze, cette rigolade prête
à toutes les tortuosités pour provoquer le rire et, dans la foulée,
la réflexion.
En
1994, quand est venu mon tour d'écrire sur la musique, c'était ça,
mon background, où les Snuls prenaient nettement plus de place que
Lester Bangs et Yves Adrien. Je ne désirais pas provoquer, je
voulais surtout bien faire et bien faire, vu tout ce que j'avais lu,
c'était donc pratiquer la pignolade. Dès les premières lignes
sorties dans RifRaf, cela a généré du remous. Je pensais assez
innocemment que les gens avaient tous le recul nécessaire, le même
genre d'attentes et d'envies pour bien appréhender ce que je pondais, mais ce n'était pas vraiment le cas. J'ai vite découvert que
beaucoup de lecteurs n'attendaient au fond qu'un service basique et
pas une suite de cabrioles : savoir si un disque est sorti, s'il est bon ou
mauvais, qui joue dessus, etc... Pire, pour certains, rire des trucs
qu'ils apprécient revient à ricaner de la taille de leurs
zobs, charrier leur identité, rabaisser leur sentiment de
différenciation des masses. Dézinguer leurs rêves à la
sulfateuse.
Quand j'ai pris conscience que ce j'écrivais provoquait ce
genre d'idiotes outrances, loin de me faire changer mon fusil d'épaule,
cela m'a donné envie d'y aller vraiment à fond les ballons. Parce
que c'est mon type d'humour et que j'aime propager le rire. Mais
aussi parce que j'estime que l'exagération et la satire sont parmi
les meilleurs chemins pour mener au recul, à la réflexion et à
l'émancipation envers certains codes (qui ont dans la musique
toujours été chiants et stupides au possible : l'electro n'est pas
de la musique, le rap est mort dans 5 ans, les Smiths c'est pour les
pédés, ce genre...)
C'étaient
les années 90 et quand on publiait à cette époque des trucs dans les magazines, on n'avait pas forcément de retour. On entendait des
rumeurs de big ups ou de volontés de cassages de gueules, on
recevait parfois une lettre d'insultes mais en gros, ce qu'on
écrivait, on en discutait au mieux entre potes ou en réunion de
rédaction mais pour ainsi dire jamais avec les lecteurs. Puis est venu le web et toute
l'enroule des commentaires spontanés sous les textes publiés
on-line. Contrairement à beaucoup d'autres, je n'ai jamais cru que
cela révolutionnerait quoi que ce soit. J'ai même dès le départ
considéré que c'était un gadget à double tranchant : très
chouette quand il s'agit de dénoncer des escroqueries médiatiques
mais nettement plus sujet à caution quand, sans modération,
n'importe qui se permet de publier n'importe quoi et que ce n'importe quoi, à force d'être partagé, linké et répété sans vérification, en vient à obscurcir la vérité.
Insultes,
menaces, tentatives d'intimidation, ragots comme quoi je serais en
passe de perdre mon job... Le lynchage sur la page du Brussels Summer
Festival (lien au post précédent) m'amuse nettement plus qu'il ne
me tracasse. C'est du troll anecdotique, particulièrement mongolien
de la part de certains. Il me confirme ce que je pense depuis
longtemps : qu'un véritable boulot critique, léger et marrant,
à la française, n'est pas attendu, ni désiré, en Belgique,
où une grosse majorité de veaux marins s'attend surtout à voir
confirmés leurs propres emballements, la prose du journaliste
servant juste idéalement de cachet « bon pour le service ».
Je pense que cela explique cette tendance à ne plus jamais prendre
position dans les médias, sauf quand il s'agit de tirer de temps à
autre sur une ambulance pour donner bonne conscience à son
éthique en toc. En 2012 comme en 1994, moi, ça me fait pisser de
rire et cela me pousse à en rajouter 35 tonnes, clin d'oeil
love-love à tous ceux qui apprécient (une bonne petite armée, tout
de même) et impression hautement jouette de passer un bâton sur les
barreaux de la cage où s'enculent tous les autres.
N'en
demeure pas moins que toutes ces conneries, tous ces gens qui partent
en vrille au quart de tour, tous ces types qui m'insultent dès la
deuxième ligne sans même savoir qui je suis, ces autres crétins
qui prétendent savoir des choses sur moi alors qu'ils flottent dans
leur fange à 25 plaques de là, tout cela donc, ne donne tout de même pas une
très belle image de l'humanité contemporaine. J'en suis là suite à
un article sur un festival de vieilles gloires sur le retour, rien de
grave, on se marre bien. Je rigole par contre nettement moins quand
le même genre d'emballements populaires, irréfléchis et total western suit un article sur la
libération de Michèle Martin, l'Islam, les Juifs, le 11 septembre, l'Iran ou la burqah. Car
c'est bien le même élan qui allume la mèche. Et au bout de la
mèche, je ne pense pas être le seul à craindre qu'il y ait un jour plutôt prochain la police de la pensée et les camps
de concentration. Tout simplement, très sincèrement, totalement
cash. Godwin but you lose.
PS : Bande de nazivereirs!!!
PS : Bande de nazivereirs!!!
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