Ballard a
été une considérable influence sur le post-punk britannique (Warm
Leatherette, Gary Numan, Joy Division, John Foxx, Karen Novotny X...)
et c'est ce qui explique sans doute le clin d'oeil au design de
Factory Records retenu pour la couverture d'Extreme Metaphors, gros
recueil sorti cette année chez Fourth Estate et bouquin parfaitement
aussi plaisant que ses meilleurs romans, en plus d'en être un
complément non négligeable. On y ouvre grand la mâchoire et on se
fait très mal au fondement en le voyant tout naturellement prévoir
et même visualiser au cours de conversations ayant lieu dans les
années 60 et 70 l'avènement du 2.0 (un futur où avec un
système domestique, les gens s'échangent des trivialités, des
photos d'enfants et d'animaux, et ne suivent plus du tout les
actualités du monde). Ainsi que l'arrêt de la conquête spatiale,
dès 1972, alors que la plupart de ses pairs s'imaginaient vivre sur
Mars dès 2000 (ça n'intéresse plus personne et ça reprendra quand
on aura inventé un système de propulsion moins cher que le
kérosène). Ca rigole sinon pas mal quand il compare le punk anglais
à la corrida espagnole, le seul moyen pour des jeunes sous-éduqués
et sans avenir de la classe ouvrière d'essayer de devenir riches.
30,
40 ans avant Fight Club, il a surtout prévu que le futur le plus
probable ressemblerait à la banlieue de Dusseldorf, «
des suites d'immeubles immaculés, pas une cigarette nulle part, avec
une école moderne immaculée et des quartiers entiers dédiés au
shopping. Le paradis du consommateur où pas une feuille d'arbre
n'est pas à sa place – même un arbre qui perd ses feuilles y
serait vu comme trop libre. (...) C'est le summun de ce que veulent
les gens. Il y a une certaine logique qui mène à ces banlieues
immaculées et c'est terrifiant parce que c'est la mort de l'âme
(...) Ballard
estimait que de tels endroits ne pouvaient générer que de la
violence :
« Personne
ne comprenait Baader-Meinhof. Ces jeunes gens étaient tous issus de
la classe moyenne, c'étaient des gamins bien éduqués issus de
familles relativement aisées. Leur violence était vraiment
absurde : piller des banques, tuer des Américains, tout le
reste... Mais j'ai réalisé que je les comprenais. Elevé dans une
banlieue de ville allemande, où tout est bien à sa place, où les
gens sont tellement terrifiés par ce qui s'est passé durant la
période nazie et la seconde guerre mondiale qu'ils font tout pour
que tout le monde soit heureux, les jardins d'enfants et les
écoles sont équipés pour qu'aucune déviance ne soit possible,
qu'aucun problème n'apparaisse... Dans un monde pareil, totalement
sain mais où n'existe aucune véritable liberté d'esprit, la seule
liberté possible, c'est la folie. »
Lire
ça le jour du Réveillon de Nouvel An, tout juste revenu du Delhaize
de la Rue du Hénin où les gens étaient prêts à me rouler
dessus avec leur poussette à trois roues pour la dernière bouteille
de Taittinger, le persil le plus vert et touffu du bac et me gratter la place dans la file du self-scanning, ça m'a paru tout à fait
convenir à notre réalité, comme l'incarnation très concrète du
thème de High-Rise. Après, c'est clair que si cette banlieue de
Dusseldorf est financée par des produits bancaires toxiques et que tout s'écroule, on n'aura pas
besoin d'aseptisation généralisée pour générer chaos et folie,
un jour prochain. Ca, Ballard ne l'a pas vu venir, encore que l'un
des uniques films de SF des années 80 qu'il dit avoir aimé est Mad
Max 2, The Road Warrior. Mythe d'un futur proche, là aussi ?
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