Genesis
P-Orridge, qui reste à la contre-culture occidentale des temps
modernes ce que le glaçage est au cupcake, était ce mardi soir au
Beursschouwburg bruxellois. L'occasion de voir prester la mouture
2014 de Psychic TV, groupe formé en 1980 et toujours deuxième après
les Doors au classement du rock profondément chamanique.
Les
Doors ont de bien meilleures chansons, le Velvet Underground aussi,
mais tout comme eux, Psychic TV parvient par moments à parfaitement
incarner cette vibration nietzchéenne du rock, qui peut rebuter ou
ravir, selon les sensibilités. Ce n'est pas donné à tout le monde
d'ainsi défoncer les portes de la perception, de symboliquement
dépasser le drelin-drelin électrisé pour atteindre une certaine
mystique, et si le grade de Roi Lézard est depuis bien des années
attribué à Jim Morrison, ce mardi soir au Beursschouwburg de
Bruxelles, dès le deuxième morceau, je décide pour ma part qu'il
n'y a de meilleur Roi Serpent que Genesis P-Orridge, alias Neil
Andrew Megson, héros obscur né en 1950. C'est indéniable :
nous avons devant nous un véritable Raymond Poulidor de son domaine,
un Expendable du rock vénéneux mais positif, solaire, sexuel,
par-delà le bien, le mal, Eros et Thanatos. Pour moi, c'est bien
simple et je n'ai bu que deux bières au moment où ça me percute :
dans le rock chamanique, on met les Doors en un, Psychic TV en deux.
Cette
date bruxelloise de la tournée 2014 est censée accompagner l'album
Snakes de novembre, pour le groupe déjà le quatrième LP de
l'année. Le concert n'a rien de bien révolutionnaire, ni même de
particulièrement agité, ne parlons même pas d'extrême. Ce bon
Genesis, qui un moment troubla physiquement, ressemble aujourd'hui, à
quasi 65 balais, à un mash-up d'Oliver Reed et de Brigitte Bardot,
le genre de créature que l'on croise souvent tirée par un caniche
dans les Marolles. Il blague comme un vieux travelo, évoque des
fellations du siècle dernier, tente au mieux d'incarner cette idée
plus défendable que jamais que dans une vie, tout est permis et
mieux vaut en rire. Son rock, son look, sa loupiote de spéléologue
sur la tête, ses incantations, sa poésie, les riffs qu'il impose à
ses musiciens, flirtent tous avec le ringard, sans toutefois ne
jamais vraiment y sombrer. En fait, sa musique tronçonne. Elle est
gravement jouissive. Aux influences aussi multiples que troubles
(Hendrix, Pink Floyd, Can, l'acid...) et, surtout, très aimables.
Psychic TV, ce n'est pas que le Poulidor des Doors, c'est aussi un
peu le Groland du post-punk. On aime les gens, les déclassés, les
sans-dents bruyants. Et on leur balance une très généreuse purée.
Qui fait sens dans le texte, en plus.
A
l'heure ou n'importe quel blaireau hipster se réclame de la musique
psychédélique – larsens, mur du son, pyramide inversée sur la
pochette fuschia et lettrage en bougie fondue – il est sinon
convenable de rappeler cette évidence. Le psychédélisme, le vrai,
est une affaire de véritable freak. Et s'il y a bien un freak ultime
au monde, c'est P-Orridge, qui reste à la contre-culture ce que le
glaçage est au cupcake. Tête pensante de Throbbing Gristle, donc
inventeur de la musique industrielle, depuis son
idée de pandrogynie (1993) en avance d'au moins trois longueurs
sur toutes les questions de genre (kikou, Najat Vallaud-Belkacem) ,
mec branché occulte, tastedrogues et même, selon certains,
inventeur de l'acid-house, on crédite au bonhomme environ 200 albums
et autant d'idées pas toujours bien retranscrites ou incarnées,
mais néanmoins régulièrement passionnantes.
La
dernière enroule, c'est d'être parti au Bénin boire du jus de
serpent. Le Culte du Python, on appelle ça et, selon certains, ce
serait l'origine véritable du vaudou, une purification psychique par
psychotrope naturel qui remonterait à 10 000 ans. Un trip à la
Vincent Ravalec, à
la Jan Kounen.
Dans une vieille jarre, absorber un potion à base d'excrétions de
pythons morts, un cécémel du diable qui chamboule totalement la
psyché humaine. On ne sait pas trop comment, ni dans quel état,
Genesis en est revenu. Ca sera pour novembre, le nouvel album, donc.
De toutes façons, ce mec, c'est Obélix et son menhir, qu'il traîne
depuis plus de 30 ans, c'est une musique jamais parfaite mais
séduisante, très, comme Kâ le Serpent, comme ce mardi soir à
Bruxelles, de 20h37 à 22h22 environ. Le temps d'un concert parfois
nul, parfois intriguant, parfois émouvant, parfois con, parfois
sublime, parfois ringard, parfois trop long, parfois trop court,
parfois frustrant, parfois lassant, parfois convenu, parfois étrange,
parfois visionnaire. Mais alors jamais, vraiment jamais, prévisible,
et même, de temps à autre, totalement bouleversant. Bref, un putain
de bon moment. En fait.
Chronique publiée le mercredi 17 septembre 2014 sur le site du Focus Vif.
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