vendredi 16 janvier 2015

FAUSSE COUCHE

Michel Houellebecq n'a pour moi qu'un seul talent, mais il est énorme, peut-être même actuellement inégalé, c'est de croquer le Français moyen dans toute son insignifiante médiocrité. C'est cet art du portrait au vitriol, de l'observation et de la caricature crasseusses mais méchamment justes, qui donne son génie à Extension du Domaine de la Lutte, à la première partie de Plateforme, à sa correspondance fouteuse de gueule avec BHL, à quelques passages par ci, par là, dans ses romans et ses nouvelles, mais aussi à son rôle dans le formidable film de Guillaume Nicloux imaginant son enlèvement ainsi qu'à son disque enregistré avec AS Dragon et Bertrand Burgalat ; à cette époque où il était surtout obsédé par le tourisme, la plaisance, les paninis-saumon et les estivants en short. Pour le reste, Michel Houellebecq ne m'a jamais franchement convaincu. C'est un écrivain que je suis essentiellement parce qu'il me fait marrer mais dès qu'il sort de ce cadre bouffon, il m'indiffère, m'ennuie même. Sa noirceur, sa tristesse et son désespoir ne me touchent pas du tout, ce qu'il peut dire de la littérature me semble au mieux masturbatoire, au pire inexact et, non seulement je trouve que la plupart de ses théories et de ses pseudo-thèses relèvent du nawak de comptoir le plus aviné mais surtout, malgré l'aplomb avec lequel elles peuvent pourtant être défendues dans ses bouquins, je pense qu'elles restent aussi très appromixatives, qu'elles ne vont jamais au fond de ce qu'elles avancent. Ou à fond.

Quand il imagine la vie éternelle, le sexe vu comme un modèle économique ou une présidence musulmane à la tête de la France, Michel Houellebecq reste en effet selon moi toujours trop vague, illogique, dispersé. En fait, il se prend même souvent les pieds dans ses propres envolées. Il n'arrive qu'à sortir des banalités, des improbabilités, des grosses conneries. Son travail n'a jamais l'air fort documenté et sa récurrente excuse qu'il n'écrit pas des essais mais des romans, venant de lui, semble surtout servir d'alibi à beaucoup de fainéantise ou de manque d'imagination. Ainsi, dans Soumission, sa France musulmane n'est pas une seule seconde probable, c'est même un décor à peu près aussi crédible que la France ultra-libérale de 2017 sous Alain Madellin imaginée par Riad Sattouf dans Pascal Brutal. Ca ne tient pas la longueur, ni la réflexion, et même Wolfenstein tape davantage juste dans l'uchronie. En fait, on pense à un sketch de Cocoricocoboy, tant on y parle surtout de cul, de bouffe et de beaufitude. Assez étrangement, Soumission n'en est pas moins probablement le bouquin le plus honnête, le plus humble, le moins vanneur aussi, de Michel Houellebecq. Ce n'est pas un pamphlet, ni vraiment de la science-fiction. C'est naïf (très!), et y sont surtout évoquées quelques idées faussement fortes qui pourraient se lire dans la chronique d'un magazine parcouru chez le dentiste plutôt que dans une oeuvre censée à la fois foutre le boxon social et mental, en plus d' incarner au mieux l'air du temps.

Ce n'est pas un roman sur l'Islam, ce n'est pas un roman sur les Identitaires, ce n'est pas un roman sur une éventuelle guerre religieuse ou même sur le choc des civilisations et ce n'est certainement pas un roman islamophobe ou raciste. C'est un roman sur la fin de l'athéisme, de la social-démocratie, de l'humanisme, et comme l'indique très clairement son titre, c'est un roman sur la soumission à un ordre ou à une idée morale jugés supérieurs ; pour Houellebecq le seul moyen de trouver le bonheur dans la vie. En l'occurrence une vie facile de paresse intellectuelle où surtout bien bouffer et bien baiser. L'utilisation dans Soumission de l'Islam peut donc bien davantage passer pour un artefact que pour une provocation ou du racisme, parce qu'après tout, ça fait un bout de temps que Michel Houellebecq entend dans ses livres défendre l'idée que pour dépasser sa condition de misérable larve mortelle et angoissée, l'humain doit se fondre dans quelque-chose qui le dépasse. Ses bouquins précédents ont essayé le transhumanisme, le clonage, Raël ; voilà qu'il se laisse maintenant tenter par la religion, sans doute parce que c'est une idée à la mode sur TF1 et dans Paris-Match. Au prochain, ce seront peut-être les drogues de synthèse et la réalité virtuelle. Michel radote, autrement dit.  

(Photo : Cougar, sans son autorisation. (mais j'ai des dossiers, bro))
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lundi 12 janvier 2015

C'EST QUAND MEME AUSSI VRAI

"Tous les Charlies sont Charlie mais certains Charlies sont plus Charlie que d'autres" (Charlie Orwell)


(réalisation technique : Matyas New Bruelo Ordena)
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jeudi 8 janvier 2015

PROPHETE POUET POUET



Je ne suis pas plus Charlie aujourd'hui que je n'ai été American Airlines en 2001 ou Princesse Tam Tam lors des attentats de Bombay. Charlie Hebdo n'est pas de mon monde, son humour me laisse froid. Trop franchouillard, trop Bite-à-Dudule, avec ces derniers temps aussi beaucoup de cartoons qui auraient pu être publiés dans un torchon du Vlaams Belang. Je Suis Charlie, il faut laisser ça aux véritables fans, aux proches, aux admirateurs, à la sincérité. Venant de moi, cela relèverait de l'imposture. Ce n'est pas par manque de compassion, vu que je suis complètement sonné du fait que des dessinateurs et des journalistes satiriques ont été butés. Cet attentat nous a aspiré dans un nouveau chapitre de l'horreur, une autre réalité, une phase où le personnel d'un canard ringard comptant surtout des vieux cons de 75 balais peut se faire décimer par des types sortis de nulle part équipés de kalashnikovs et de lance-roquettes. Shock and awe. Saut dans l'inconnu. Ce que cela augure, ce avec quoi il va falloir désormais dealer -la menace tout comme les mesures prises pour contrer cette menace- m'effraye. Je ne suis pas de ceux que des protections flicardes et des singeries à la Vigipirate rassurent. Elles me stressent même davantage que le terrorisme, qui reste statistiquement rare, quoi qu'on en dise. La mort brutale de Wolinski, de Cabu et des autres est une donnée que je ne vais pas intégrer facilement, qui mettra du temps à se laisser digérer. Pour ce faire, je ne vais pas me laisser parasiter le cerveau par le cirque médiatique, les andouilles du web et ce grand mouvement « Je Suis Charlie » un peu trop fédérateur dans l'actuel contexte frenchie puant que pour être exempt de critiques et de méfiance. Surtout qu'il me semble que depuis mercredi, le grand boulevard jusqu'ici ouvert au Front National s'est transformé en autoroute à 4 bandes.

Il ne faudrait pas non plus oublier que lundi, quand tout n'allait pas si mal, il était aussi vachement question de médiatiquement lyncher Zemmour et Houellebecq. Or, deux jours plus tard, le discours a radicalement changé, puisqu'il est désormais surtout question de se battre pour le droit à continuer de se foutre tranquillement de la gueule des bigots, surtout bicots. Ce n'est pas que confus, ce n'est pas que dingue. C'est aussi extrêmement sournois, extrêmement dangereux. Cette confusion, cette cabriole de girouettes, n'est pas l'oeuvre des médias, ni du gouvernement, encore moins d'une cabale conspirationniste. Elle résulte du fait que sur les réseaux sociaux, librement, les gens se sentent obligés de réagir au quart de tour, de se positionner, de partager une connerie ou un cliché sur des évènements qui pourtant, souvent, les dépassent complètement, au sujet desquels ils n'ont aucune expertise, et, à vrai dire, même pas vraiment d'avis construit. Je ne pense pas qu'ici, la liberté d'expression soit menacée par l'Islam radical et le terrorisme. Ce qui la menace surtout, c'est de se noyer dans ses propres déjections, de générer tellement de confusion, d'imbécilités et de brouhaha irréfléchi que les gens vont eux-mêmes finir par appeler à sa limitation, comme ils sont en fait presque en train d'appeler de leurs vœux un état policier et la vendetta envers tous ceux qui éviteraient le saucisson et le ballon de rouge de façon un peu trop ostentatoire. Michel Houellebecq disait il y a quelques jours qu'on n'a jamais vu un roman changer l'histoire. Un roman, non. Une tonne de tweets à la con et d'emballements un peu trop pavloviens, par contre, oui, peut-être. Là, maintenant.  

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