Avec
Cloverfield, Wickerman est le seul film que j'ai regardé deux fois
de suite. C'est rare mais c'est ce qui arrive quand j'ai de la peine
à croire ce que je viens de voir. Je le relance direct, tout au plus
un quart d'heure après le générique final de la première vision.
La claque Cloverfield, c'est que je m'attendais à subir un
blockbuster assez pourri, genre Godzilla remixé par MTV, alors que
ce film est en fait complètement trash, nihiliste et hystérique. La
claque Wickerman, c'est que je pensais au départ que ce serait un
énième petit film d'horreur britannique seventies, marrant mais
ennuyeux, pas transcendant mais à la chouette atmosphère Hammer
Productions. Au contraire, c'est l'un des films les plus étranges
qu'il m'ait été donné de voir ; un mélange complètement
improbable de thriller jemenfoutiste, de comédie musicale à très
bon folk et de faux documentaire sociologique sur les rites païens
écossais. Ce film m'a hanté, obsédé, et je sais depuis qu'il
s'inspire (très librement) de traditions existantes, notamment
Beltane, le soir où l'hiver et l'été se disputent les grâces de
la Reine de Mai. De nos jours, Beltane continue d'ailleurs de se
fêter dans certaines régions du Royaume-Uni, la nuit du 30 avril au
1er mai, notamment à Edinburgh.
Il
se fait que j'étais justement à Edinburgh ce 30 avril 2015. Je n'ai
appris l'existence du Beltane Fire Festival que bien après avoir
décidé de prendre des vacances en Ecosse mais c'est clair que
l'idée de vivre une cérémonie à la Wickerman ou un Burning Man
local m'a assez excité. D'autant que dans les médias locaux, on
parlait de beaucoup, beaucoup de monde, et de beaucoup, beaucoup de
bruit (une rave tribale ?), de pyrotechnie et de nudité. Bref, d'un event
« enfants non admis », un rien borderline. J'ai toutefois déchanté en
voyant les photos proposées par le site de l'organisation, qui
semblaient plutôt annoncer la Zinneke Parade du Païen de
Pacotille. En fait, c'était encore pire que ça. Quand on a vu
Wickerman, qu'on pense à Beltane comme une fête païenne bien
bizarre, on imagine du solennel, des types avec des masques étranges,
des bois de cerfs sur la tête, d'impressionnants flambeaux. On
espère que ça va être un poil lubrique, plein de chansons
traditionnelles généreuses en choeurs d'ivrognes.
Or,
le 30 avril au soir sur Calton Hill, déjà, on ne vend pas d'alcool.
Des hotdogs allemands, des hamburgers douteux, des frites longues et
molles et des limonades dégueulasses (le fameux Irn-Bru écossais),
oui. Mais pas la moindre bière et encore moins des whiskies. Ca ne
rigole pas avec la sécurité, même si on laisse passer les gens qui
amènent à boire dans des bouteilles en plastique et qu'on ne semble
pas se formaliser de l'odeur de weed omniprésente. Pour le reste,
c'est à peu près aussi trash et impressionnant qu'une fancy-fair à
Decroly. C'est papier crépon à tous les étages, une procession
interminable, des tambours aux rythmes aussi inventifs que la section
rythmique de Ghinzu. Ne parlons même pas de la pyrotechnie, pas plus
impressionnante que le flambage d'un steak dans un restaurant de
deuxième catégorie. On s'emmerde vite, alors pour passer le temps,
on se moque des gens qui semblent chercher expressément à passer
pour des nouilles : un type qui apprend à un jeune Français
comment fumer un joint. Un conteur en kilt très fier de raconter en
détail la légende de la May Queen et du Green Man alors que
personne autour de lui ne semble pourtant en avoir grand-chose à
foutre. Des gamines qui couinent parce que des mecs à poil peints en
rouge viennent chastement se frotter à elles en poussant des
grognements à peine dignes des monstres du Muppet Show alors qu'ils
sont pourtant censés représenter les diablotins revanchards chassés des
ténèbres par le retour du soleil et du beau temps.