Vincent Zabladowski m'a posé quelques questions sur « La Guerre du Son » dans le cadre d'un article qu'il écrit pour le fanzine du Magasin 4 (si j'ai bien tout compris), où des extraits de mes réponses seront insérés. Ca balance plus qu'à Saint-Tropez.
Comment
t'es-tu retrouvé à écrire "La Guerre du Son"?
Ca
fait un moment que je suis fasciné par les armes soniques, genre ces
canons sonores avec lesquels The KLF avaient tué des moutons et des
vaches dans la campagne anglaise et qui sont aussi utilisés par les
flics pour disperser la foule, notamment lors de grosses
manifestations de type G20 et Occupy Wall Street. De fil en aiguille,
je suis tombé sur d'autres trucs dingues en rapport avec le son :
les infrasons qui expliqueraient le phénomène des maisons hantées,
certaines personne qui entendent ce qu'on appelle un « hum »,
un bruit continu qui serait dû au raclement des vagues sur le sol
marin, etc... J'avais envie d'écrire là-dessus depuis un moment
mais c'est invendable à une rédaction. Tout le monde s'en fout, ça
fait trop Jacques Pradel aussi. A côté de ça, j'avais aussi en
stock des papiers à remixer sur le son compressé et les limitations
sonores promises à Bruxelles aux salles de concerts et aux endroits
de fêtes pour 2018. Et mon éditeur avait quant à lui envie de
sortir un bouquin un peu socio-médical sur les problèmes auditifs
mais un truc cool, rigolo, pas un machin où tu t'entends ronfler
après 3 pages et à la lecture duquel les hypocondriaques se pissent
dessus. Bref, on a un peu mélangé tout ça et voilà.
"La
Guerre du Son" présente les mesures qui seront appliquées à
Bruxelles en 2018. Si j'ai bien compris, cette matière est
régionalisée. La Flandre a déjà pris de l'avance. Quid de la
Wallonie? Sais-tu ce qu'il est pour les les autres régions d'Europe
? Comparativement Bruxelles ira-t-elle plus loin qu'ailleurs ?
Ces
limites de décibels sont des recommandations de l'OMS. En France et
en Suisse, c'est appliqué avec une certaine sévérité. En Flandre
aussi. Ici, on verra bien mais Bruxelles, c'est Bruxelles et moi, je
pense que Bruxelles, c'est la capitale du nawak et de l'arbitraire.
Ca va donc être n'importe quoi, même si sur papier, ça se veut
sérieux et même contraignant. Au niveau du nombre de décibels à
ne pas dépasser recommandé, là où c'est appliqué, c'est à peu
de choses près partout pareil mais pour ce qui est de la Wallonie,
j'avoue que je n'en sais rien. Au moment de finir le bouquin, fin
mars, personne n'en parlait mais personne n'aurait pu prévoir que le
MR et le CDH seraient en 2018 au pouvoir en Wallonie. Or, à
Bruxelles, c'est justement le CDH, via Céline Frémault, qui a lancé
ce plan « musiques amplifiées ». Il pourrait donc assez
logiquement faire tâche d'huile, surtout en période pré-électorale,
vu qu'on revote en 2018-19. Les jeunes qui deviennent sourds, les
nuisances sonores, tout ça, les politiciens en campagne aiment
beaucoup.
Dans le
livre, tu émets l'hypothèse que derrière ces mesures de santé
publique, on trouve peut-être d'avantage un prétexte pour canaliser
une certaine activité nocturne. Tu peux expliquer ?
J'émets
l'hypothèse mais c'est plutôt pour la démonter. C'est l'OMS qui a
prôné ces mesures, pas le pouvoir politique, ni les autorités.
Maintenant dans la façon de parler de ces mesures et de vouloir se
les approprier et les appliquer, il est vrai que Frémault m'a tout
l'air, bien que son cabinet s'en défende, d'un peu vite mélanger le
problème de santé publique à celui des nuisances sonores
nocturnes. L'OMS dit une chose : les niveaux sonores actuels
dans les bars, les discothèques et les concerts présentent un
risque. C'est le boulot du politique d'agir mais comme le tapage d'un
bar ou d'une salle de concert a toujours été dans son collimateur,
ça lui donne aussi un alibi disons carrément scientifique pour y
aller façon panzer. Alors que le volet santé est une problématique
très différente du volet nuisances sonores. Je pense donc qu'ils
s'attaquent surtout aux bars et aux salles de concert parce que c'est
facile, ça ne mange pas de pain. L'OMS dit pourtant que les casques
audio et le temps passé avec des écouteurs dans les oreilles est
beaucoup plus dangereux qu'un concert. Mais vas-y, quand t'es au CDH
bruxellois pour aller faire chier Apple, Sony ou Philips et leurs
batteries d'avocats.
Quelle
seraient selon toi les mesures idéales pour répondre à cette
problématique du son ?
Pour ce qui
est du son amplifié, j'avance dans le bouquin que selon moi la
problématique est irrésoluble. Les mecs de la Semaine du Son
pensent au contraire que dans quelques années, on aura dans les
salles de concerts des sonos complètement différentes, avec moins
de matosse et moins de puissance mais du matosse mieux placé et une
puissance mieux répartie. C'est peut-être vrai, je n'en sais rien,
mais à priori, je n'y crois pas, et je pense surtout que tout cela
ne tient pas compte de la spécificité de chaque artiste. Je peux
tout à fait concevoir d'apprécier un groupe folk à 90 dB dans une
salle contemplative et silencieuse mais du hardcore ou de la techno
dans un endroit blindé où les gens sont là pour pogoter ou danser,
sont ivres, hurlent, parlent, c'est juste ridicule, y compris
techniquement. Après, il y a aussi des musiques qui sont immersives
dans leur nature. Je me souviens avoir été voir A Place to Bury
Strangers au Botanique il y a quelques années. En plein concert, je
parlais à mon voisin sans élever la voix alors que c'est quand même
le groupe qui était à cette époque censé te faire vivre une
expérience sonore immersive quasi psychédélique. On n'est pas
resté, on a fini la discussion au bar. Parce que la musique en soi
du groupe ne m'intéressait pas autant que l'expérience promise.
Après, je
crois qu'il est primordial d'informer au mieux les gens sur les
risques encourus, d'acouphènes notamment, quand on va voir des
concerts ou des dj-sets du genre. Il faut penser aux bouchons
auditifs, pourquoi pas même à des entractes. Se montrer créatifs,
quoi, plutôt que de juste imposer une limite et interdire tout ce
qui la dépasse. Le motocross peut blesser et tuer, personne n'irait
pourtant penser à interdire le motocross. Il faut savoir où vous
foutez les pieds, quels sont les risques, agir en conséquence mais
sans jouer la carte du gros flip ou de la croisade médicale. Bref,
je ne dis pas que tout ce que prônent les politiques et les médecins
est exagéré, mensonger ou idiot. Je dis plutôt que leur réflexion
ne va pas très loin, qu'ils ne pensent pas aux effets pervers de ces
mesures, que c'est de la politique à la 6-4-2, comme bien souvent.