L'idée,
c'est une chronique « on se calme tous là » en 10 points
sur un sujet qui divise. En guise de numéro zéro et de test, voici
un billet sur Sérotonine, le septième roman de Michel Houellebecq,
sorti le 10 janvier 2019.
Je pensais qu'il allait un peu plus
déchaîner les passions sur les réseaux sociaux et dans les médias,
à peine moins que la sexualité de Yann Moix, mais assez
bizarrement, tout le monde semble s'en foutre et ne pas le lire.
Normal : il est assez mauvais. Voilà. Si vous êtes éditeur
ou rédac'chef et pensez fanfaron de développer d'autres chroniques
dans le genre, vous savez où me joindre.
Avis « perso » express :
Sérotonine
est à Extension du Domaine de la Lutte ce que Episode VII : The
Force Awakens est à Star Wars : A New Hope. La même chose en
plus roublard, du fan-service fainéant, la version cabotine, cynique
et bassement mercantile de quelque-chose qui a jadis beaucoup plu et
fort marqué. Attention (spoilers), le climax de Sérotonine est
exactement le même ou presque que celui de ce premier roman de
Michel Houellebecq sorti il y a 25 ans : au moment de lâcher
les torpilles à protons vers le réacteur de l'Etoile Noire, Luc
Cielmarcheur refuse son destin et retourne tristement s'astiquer la
nouille dans sa chambre de 10 mètres carrés de l'Hôtel Mercure de
Tatouine.
Ce
qu'ils en disent ailleurs :
Comme
à chaque sortie d'un bouquin de Michel Houellebecq, il y en a pour
adorer (« le plus beau, le plus noir de ses livres ») et
il y en a pour le détester, généralement pour des motifs devenus
avec les années de véritables clichés : son style est bizarre
(« plat »), il raconte des conneries d'extrême-droite à
la Eric Zemmour, il est méchant avec les femmes, les gays et les
Arabes, il cite trop de marques, sa vision de l'humanité est trop
déprimante et le marketing et le succès de ses bouquins éclipsent
400 autres meilleurs livres sortis en même temps (c'est le petit
commerce qu'on assassine!). Bref, ça délire ferme.
Ce
qui gêne :
Sur
200 de ses 345 pages, Sérotonine ne raconte pour ainsi dire rien,
sauf si pour vous, un connard qui rumine sur sa bite molle et ses
exs, ce n'est pas « rien ». Bien entendu, un connard qui
rumine sur sa bite molle et ses exs c'est l'essence même des romans
de Michel Houellebecq mais au moins dans ses autres livres, le
connard rumine-t-il aussi un peu sur le transhumanisme, l'Islam,
l'industrie du sexe, le tourisme globalisé et comment fonctionnent
les rapports humains dans un environnement néo-libéral. Ce n'est
pas trop le cas ici, encore qu'on y finit bien par causer un peu
d'agronomie et de quotas laitiers. Mais moins que de bonnes pipes et
de chattes humides.
Ce
qui gêne vraiment :
Sérotonine
n'est pas le plus mauvais roman de Michel Houellebecq, ça, c'est La
Carte & Le Territoire. Mais c'est le plus mal écrit. C'est un
bouquin truffé de fautes et édité au moufle. Il a ainsi déjà été
repéré que Michel Houellebecq s'est trompé d'un bon 300 kilomètres
au moment d'évoquer un relais-château qui existe vraiment et où
vont ses personnages et que contrairement à ce qu'il avance, le
disque de Pink Floyd avec la vache sur la pochette n'est pas
Ummagumma mais bien Atom Earth Mother. Il y a sinon encore quelques
concordances de temps assez hasardeuses, des lourdeurs visiblement
pas voulues et même des phrases qui contredisent le récit d'un
chapitre à l'autre. Houellebecq semble sinon toujours incapable de
poser un personnage féminin crédible et fouillé, les femmes se
résumant essentiellement dans son œuvre aux sensations qu'elles
procurent au personnage masculin principal (sauf dans Plateforme mais
bon…). Si on a aujourd'hui le même âge ou presque que
l'anti-héros du livre (46 ans), on se rend aussi assez vite compte
que pour quelqu'un soi-disant issu de la Génération X et ayant été
grunge, ce Florent-Claude Labrouste pense tout de même
vachement comme un mec de 60 balais (tiens, tiens…), en plus de
drôlement préférer Deep Purple et Pink Floyd à Mudhoney et Alice
In Chains.
Ce
qui gêne aussi :
Michel
Houellebecq a toujours eu l'air de royalement se foutre de la tronche
de ses lecteurs mais dans ses meilleurs romans, il a au moins l'air
de croire à certaines choses qu'il avance (sur le transhumanisme,
sur le néo-libéralisme sexuel, etc…). Son opinion est
éventuellement tartignolle mais elle laisse entendre qu'il s'est
intéressé au sujet, qu'il s'est documenté, qu'il a gambergé
dessus. Ce n'est pas le cas dans ses romans plus dispensables, où il
se contente de balancer des vannes (souvent hilarantes, il est vrai),
des provocations, des idioties et des pelletées d'allusions aux
bonnes pipes et aux chattes humides. Sérotonine est principalement
l'histoire d'un mec qui ressasse sa vie sentimentale et sexuelle,
surtout sexuelle, avant de se retrouver témoin d'agissements
pédophiles, d'une manifestation tournant au drame sanglant et de
ruminer un projet de meurtre. Bref, quand on y a fini de parler de
bonnes pipes et de chattes humides, on part sur une idée de vie
insatisfaite à la Madame Bovary, entre autres, et de basculement
dans la folie dépressive et meurtrière à la Hubert Selby Jr ou à
la David Vann, entre beaucoup d'autres aussi. Autrement dit,
Sérotonine recycle grave, voire même radote carrément.
Un
Prophète ?
On
a déjà beaucoup causé dans les médias des pages « gilets
jaunes » du bouquin. Houellebecq a cette réputation de
prophète du malheur. Plateforme est réputé avoir prévu les
attentats du 11 septembre (ce qui est complètement con) et ceux de
Bali (ce qui est plus troublant). Soumission, « son brûlot
contre l'Islam » est officiellement sorti le même jour que
l'attaque contre Charlie Hebdo. L'aspect « gilets jaunes »
de Sérotonine tient pourtant à peu de choses : quelques pages
où des agriculteurs armés bloquent une route, s'opposent aux CRS et
ça dérape. Bref, une situation qui annonce peut-être un drame à
venir mais s'inspire surtout des blocages de raffineries en 2016, des
dizaines de manifs en France réprimées au flashball et aux lacrymos
depuis des années et sans doute aussi de Notre-Dame-Des-Landes. Et
puis, il ne faudrait pas oublier que Houellebecq semble croire depuis
très longtemps à cette idée qu'une grosse insurrection, voire même
une guerre civile, va tôt ou tard éclater en France. Ce qui
n'empêche que dans Sérotonine, après que les CRS aient buté dix
paysans, le personnage du bouquin s'en bat pour ainsi dire assez vite
les couilles et s'en va stalker son ex la moins salope, celle qu'il
aimeuuuh tant. Autrement dit, les répercussions politiques d'un acte
qui ferait dans la réalité probablement s'écrouler la présidence
Macron ne sont pas du tout évoquées. C'est même carrément pris par-dessus la jambe. Tu parles d'une politique-fiction...
Michou2019
Un
moment, il va falloir se faire une raison : il est assez
coincoin de se disputer au sujet de Michel Houellebecq. Qu'il soit de
droite ou de gauche, bon ou mauvais, con ou visionnaire, le type est
avant tout un saltimbanque de la littérature spécialisé dans la
satire sociale qui vend ses bouquins à la pelle juste comme un Sulitzer, comme un
Lévy, comme une Nothomb, comme un Brown. Michel Houellebecq est
peut-être le plus grand écrivain français vivant, peut-être, mais
ce qui est plus sûr, c'est que c'est un produit de consommation
courante. On peut le considérer comme l'égal d'un Céline ou d'un
JK Huysmans, c'est discutable et seule l'histoire en décidera. Là, maintenant, c'est surtout un plaisir aussi coupable, vu le côté
politiquement incorrect, les bonnes pipes et les chattes humides
qu'un bon vieux SAS de Gérard de Villiers. Bref, de la littérature
d'aéroport et de Carrefour Planet.
Verdict
On
va faire simple : sur le TOP-7 de ses sept bouquins sortis,
Sérotonine se place en sixième position. Il y a de bonnes vannes. A
part ça...
Michou
pour les Nuls
Pour
rappel, son meilleur roman reste Extension du Domaine de la Lutte,
qui a cristallisé bien mieux que beaucoup d'autres le malaise
existentiel typique de la fin des années 90. Plateforme, en 2003,
est son dernier à réellement développer une idée crédible sur la longueur
et ne pas uniquement jouer la carte de la triste farce provocatrice.
De tout ce qu'il a produit, les vraies fines bouches préféreront
toujours ses poèmes et Présence Humaine, son disque
de 2000 avec Bertrand Burgalat et AS Dragon ainsi que l'Enlèvement
de Michel Houellebecq, téléfilm hilarant qu'a tourné Guillaume
Nicloux pour Arte en 2014. A noter qu'en 2019, ce même Nicloux
sortira un film titré « C'est Extra » où Michel
Houellebecq et Gérard Depardieu foutent le boxon dans un centre de
thalasso de Normandie. Ce qui est en fait drôlement plus excitant, punk
et prometteur qu'une énième errance de cadre dépressif.