Avril 2021
– Dans le code de déontologie journalistique, la notion d'intérêt
général ne compte pas pour des prunes. Théoriquement, du moins.
L'affaire du cycliste des Fagnes, un tweet sexiste ou islamophobe à
la con, les pompiers qui matent des films de cul, les restaurants
clandestins, c'est de l'intérêt général ? Ca peut, si on
s'applique. Ainsi, si j'étais chargé d'écrire un article sur les
restaurants clandestins, j'y évoquerais ce que l'on y bouffe, dans
quelle ambiance, pour combien, à combien, la logistique, qui y livre
et comment, ce que l'on y risque, le kif de l'interdit... Dénoncer
l'organisation, les chefs participants et les noms et fonctions
exacts des clients ne me viendrait en revanche jamais à l'esprit.
Comprendre, ne pas juger, comme disait l'autre. Rester journaliste,
pas se transformer en assistant de police, en balance, en procureur
ou, pire encore, en justicier. Je vomis vraiment ce journalisme
soi-disant citoyen et très à la mode qui ne cherche plus à relater
au mieux les choses mais bien à faire tomber des têtes. Ce que
savoure le petit public dégueulasse de ces torchons, bien biberonné
à Twitter et à cette sale manie de s'indigner de tout et rien non
pas parce qu'il y a de quoi mais bien parce que ça donne une image
vertueuse d' « acteurice du changement ». En attendant,
Pierre-Jean Chalençon n'est toujours pas Richard Milhous Nixon et si
mettre en lumière l'existence de restaurants clandestins peut donc
relever de l'intérêt général, faire en sorte que son petit papier à la Zorro génère une suite judiciaire et du lynchage sur les réseaux sociaux
n'en reste pas moins profondément minable. D'autant que c'est le
plus souvent enrobé dans un storytelling à la Marie-Antoinette et
sa brioche, touillé pour bien titiller les tentations de justice
expéditive : « holala, mais regardez-moi ça, les rupins
s'asseyent sur les règles Covid, gnagnagna. Ils festoient tandis que
l'on se prive, gnagnagna. » On flatte là les envies de
fourches, de flambeaux et de guillotines, les vieilles pulsions
révolutionnaires. Sans quoi on parlerait sans doute aussi un peu
plus des friteries clandestines et des spagh-bols à l'arrière des
bistrots de quartiers. C'est donc moins du journalisme rencontrant
l'intérêt général que du populisme de bas-étage servant sa
propre lubie socio-politique. Comme quoi, Donald Trump et Mediapart
ont plus de points communs qu'on ne le pense.
Un autre
storytelling qui me broute bien en ce moment, c'est cette manie de
balancer des anecdotes terribles à la tronche de celles et ceux qui
tentent de vivre plus ou moins cool en ces temps de pandémie. Les
stigmatiser, d'abord : « rassuristes »,
« irresponsables », « égoïstes », autant
dire « connards ». Ensuite, leur balancer des photos de
malades en soins intensifs et des histoires de jeunes sans
comorbidités décédés étouffés totalement seuls en seulement
trois jours. Que le Covid soit une dangereuse saloperie, c'est acté,
mais il me semble tout de même tout aussi acté que pour une
majorité de gens qui le chopent, ça se limite à quelques jours de
pets sans odeur et de nez qui coule. Achtung, je ne minimise rien. Je
rappelle juste une évidence : toute maladie de ce type est
profondément injuste. Certains en meurent, d'autres en souffrent et
d'autres encore s'en sortent avec juste une bouillotte et deux
cachous. C'est la vie, c'te pute. Or, je ne vois que peu de traces de
cette réalité dans les médias et sur les réseaux sociaux, où
tout n'est bien souvent que ruines et désolation. On cherche à
responsabiliser le public en l'horrifiant, comme quand on a collé
des photos de poumons crasseux et de cancers dégueulasses sur les
paquets de clopes. Exactement la même tactique. D'accord, on dira
que c'est pour la bonne cause : éviter qu'un système de santé
sous-financé depuis des années ne s'écroule définitivement,
débordé de toutes parts. N'empêche que là aussi, on joue donc sur
les pulsions simplettes : la peur et la psychose mais aussi la
colère envers ceux qui ont moins peur. Comme quoi, la com d'urgence
des autorités belges et du gouvernement chinois ont plus de points
communs qu'on ne le pense.
merci, ça fait un bien fou !
RépondreSupprimer