Il était une fois, sans doute au début des années 2010, quelqu'un pour émettre l'idée amusante que les contes de fées, sous leurs formes les plus récentes (il y a quelques siècles, c'était autre chose, ok!) font l'apologie du viol. Un concept qui fait depuis son petit bonhomme de chemin, devient même peu à peu un véritable "marronnier" dans les médias. En 2017, en Angleterre, une mère de famille s'offusque ainsi publiquement que sa fille soit obligée de lire Sleeping Beauty à l'école et le journal The Guardian lui donne raison, via une carte blanche signée Stephanie Merritt, une autrice de livres pour enfants. S'ensuit une maousse polémique sur les réseaux sociaux, curieusement oubliée aujourd'hui. En 2016, sur un blog universitaire, c'était déjà le baiser du Prince à Blanche-Neige dans le film Disney adapté du conte des Grimm qui était décrié comme relevant non seulement de la culture du viol mais aussi du très mauvais exemple pour les garçons qui essayent de chipoter les filles endormies par l'alcool et la drogue dans les soirées universitaires. Depuis, cette idée qui ne semble traîner sur les Internets que pour que l'on s'en serve afin de générer des foires d'empoignes idéologiques (woke vs boomers) ressurgit régulièrement sur les réseaux sociaux, dans les gazettes militantes et sur des médias de droite. La récupération cynique et clickbait me semble évidente. Mai 2021 : voilà que ça repart pour un tour et aucun des fins esprits impliqués dans le manège n'a toujours l'air de percuter le piège à neurones, le contexte de mème qui traîne, ni que dans le conte, le Prince ne cherche pas à pécho (et qu'il existe aussi des contes où les Princesses embrassent les crapauds sans non plus trop leur demander leurs avis!). Dans Blanche-Neige, ce n'est même pas tout à fait un prince, plutôt un symbole de félicité, la récompense d'une héroïne sinon assez indépendante après bien des tribulations, des abus, l'abandon et la mort. Le dadais représente l'amour vrai et permet à Blanche-Neige le retour à la vie et à la société. Je suis dès lors bien d'accord que l'on peut se désoler que le Prince ne soit au fond qu'un énième Sauveur Blanc. Que Blanche-Neige devienne hippie et reste dans le kibboutz avec les nains aurait, selon moi, eu drôlement plus de panache. Seulement voilà, ce conte a été écrit il y a 200 ans, sur une idée bien plus ancienne encore. Bien avant Easy Rider et bien avant la découverte du Wakanda, donc. Une époque pas très born to be wild. Une époque où ils truffaient autant leurs histoires de représentants de la royauté que Disney ne bourre aujourd'hui de lesbiennes à cheveux mauves les Star Wars et autres Marvel. Peu importe qui réveille Blanche-Neige, donc. Ca peut s'updater. La structure même du conte va chipoter des choses enfouies, mystérieuses, magiques peut-être même. Touchez-y et tout s'écroule. Mais pour le reste, tout est permis, tout peut se réécrire.
Encore que pour le baiser, ça me semble un peu compliqué. Trouver un autre geste magique qui réveille les morts, c'est pas fastoche. Des prières au Petit Jésus ? Sacrifier un petit animal ? Faire jouer un orchestre de Mariachis ? L'odeur du banana-cake dans le four? Chassez ce baiser, il reviendra au galop, d'autant qu'il rebondit sur des ressorts archétypaux et symboliques vieux comme le monde. Des idées mystiques, peut-être même alchimiques, dont on a un peu oublié le sens. Dès lors, aller prétendre que cette scène n'est rien de plus qu'une incitation au viol, c'est prendre un conte ancien au sens littéral sans tenir compte de son contexte, d'où il vient, ce qu'il charrie du fond des âges et des âmes, ce qui en a déjà été retiré, amendé ou rajouté et ce qu'ont pu en expliquer Bruno Bettelheim et Joseph Campbell, entre autres. C'est exiger de se faire entendre dans un dossier que l'on ne maîtrise pas, dont on ne connaît visiblement même que le dessin animé. Ce qui est incroyablement puéril et niais. Narcissique aussi. IRL, qui a envie de rouler des galoches aux cadavres ? Qui va se dire « ho ben, si le keum à Neige-Blanc le peut, zyva aussi. » ? Vous pensez vraiment que ce qui se passe ou non dans un vieux conte de fées va changer quoi que ce soit à ce qui se trame dans les dortoirs des jeunes queutards qui, au XXIè siècle, ont un peu trop forcé sur la codéine, la kétamine, le MDMA, le haschish, la vodka et les bières trappistes ; le tout en moins de trois heures ? Blanche-Neige = fiction, les cocos. IRL, pas de baiser. Elle se verrait plutôt calée un gros Microlax dans le tabernacle l'aidant à vomir sa pomme et se prendrait deux décharges de défribillateur et une piqûre d'adrénaline pure dans le sternum, à la Pulp Fiction. Et puis seulement, l'ambulancier l'inviterait éventuellement à manger un Poké en espérant de la saucisse au dessert mais c'est en fait assez rare, ça. Après l'hosto, Blanche-Neige serait plus probablement seule entre ses murs à maudire La Reine ou sur Tinder à swiper du nain. Refuser de l'admettre, c'est en fait imposer au monde sa version paranoïaque de la vie et des relations. Vouloir convertir à ses propres angoisses. Ce qui est également puéril, niais et narcissique. Et promet surtout un combat militant sans fin. Parce qu'admettons que l'on règle son sort au Prince de Blanche-Neige. On se fait qui, ensuite ? Dracula ?
Absolument. Vivement le coup du "loup est une espèce protégée, peu importe qu'il ait bouffé Mère-Grand, c'est sa nature, le tuer est immonde!" :-)
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