L'autre
jour, je me suis chopé le premier tome de Vernon Subutex dans une
boîte à livres et j'ai ensuite tapé sur Facebook que le bouquin
m'amusait et me plaisait, notamment parce que le héros vivait des
choses que j'avais vécues et que d'autres personnages me rappelaient
des connaissances. Je trouvais donc que c'était bien croqué de la
part de Virginie Despentes, autrice qui n'est sinon pas du tout ma
tassé de thé et dont les bouquins ne tiennent selon moi jamais la
longueur. Ca n'a pas mis un quart d'heure avant qu'un trio de
féministes actives dans la bière (?!?) ainsi qu'un gars que je
fréquentais il y a 30 ans assez porté sur les questions sociales me
traitent en retour de « vieux masculiniste », "détraqué idéologiquement", qui considérait Despentes "même pas bonne pour le rebut". Autrement dit, si l'une
se contente d'écrire des livres, La Saint-Eglise de Notre-Dame
Despentes traque l'hérétique. Ce qui est certainement plus
problématique que de publier des nanars.
Faut-il
vous rappeler que le premier bouquin de Virginie Despentes,
Baise-Moi, sort sans tambour, ni trompette, fin 1993 aux éditions
Florent Massot, directement au format poche. C'est dans le cadre de
la collection « Poche Revolver », qui entend proposer une
littérature de gare trash, rock et moderne. De la série B, voire Z,
totalement assumée. Une sorte de Série Noire grunge, dont la
Génération X est le principal cœur de cible. 1993, c'est deux ans
seulement après la sortie d'American Psycho de Bret Easton Ellis et
c'est un an avant Pulp Fiction et Tueurs Nés au cinéma, qui sortent
tous deux fin 1994. Kurt Cobain est toujours vivant et c'est un
moment de l'histoire culturelle où il est assez « branché »
d'adorer l'ultraviolence et le rock sale (ou le gangsta rap). Que
cela soit ou non voulu, le titre « Baise-Moi » est
forcément cousin de celui de la chanson «Rape Me » de
Nirvana, également sortie fin 1993, et sur la couverture de la
première édition, un gamin se prend une balle dans la tête, ce qui
n'est pas sans rappeler la tétine dans la flaque de sang de
l'affiche originale du film C'est Arrivé Près de Chez Vous,
totalement culte depuis 1992. On a aussi cru malin d'y ajouter une
vignette « parental advisory » (en français :
« Avis aux Parents : Textes Explicites »), comme sur
les CD américains mal polis de l'époque. De la provoc à la fois
facile et identitaire, qui parle principalement à un public
spécifique et qui entend capturer un certain air du temps. Durant un
an, Baise-Moi reste quoi qu'il en soit très underground. Ce n'est
que fin 1994 que les ventes de Despentes décollent, après un
passage remarqué et pistonné par Laurent Chalumeau – lui aussi
publié par Florent Massot- à Nulle Part Ailleurs. Baise-Moi devient
alors culte, bien vendu et polémique. Pour sa violence mais aussi
parce qu'il est fondamentalement écrit avec les pieds.
Je me
souviens de débats assez houleux sur le forum du magazine
Technikart, une poignée d'années plus tard, alors que le bouquin
était désormais considéré par certains comme totalement culte,
quasi classique, tout en étant aussi plutôt vu comme complètement
con par d'autres. L'un des journalistes alors phare de la revue,
Patrick Williams, estimait que ce n'était que secondaire que
Despentes écrivait mal, tant ce qu'elle avait à dire était
important. L'éternel débat du fond et de la forme. Cela me faisait
d'autant plus marrer qu'à mes yeux de belge touchant sa bille en
matière de cultures alternatives, Despentes non seulement ne pissait
pas très haut niveau style et crudités (elle n'est pas Selby et ne
le sera jamais) mais était surtout une caricature ambulante de
rockeuse franchouillarde qui n'avait en réalité pas tant que ça à
dire, n'ayant jamais pondu qu'un remix porno de Thelma & Louise.
D'ailleurs, quoi de plus clicheton et ridicule que le milieu rock
franchouillard, surtout ces années là ? En décembre 1995,
Rock & Folk consacrait encore sa couverture à Led Zeppelin. Ici,
à la même époque, we loved techno, d'Aphex Twin retournant le Fuse
aux Chemical Brothers atomisant le Vooruit de Gand. A Paris, c'était
du côté de Nova et de la french touch naissante que cela se
passait. Au milieu des nineties, le rock n'était évidemment pas
mort. Mais ceux qui le vivaient faisaient assurément partie d'une
chapelle culturelle, ainsi que d'un culte identitaire. Une bulle
assez réac.
En 2000, le
film tiré de Baise-Moi fout la panique morale. Vraiment. Une
véritable folie médiatique impliquant mouvements féministes alliés
de circonstance à l'extrême-droite catholique (mais oui!), retour
de la censure d'état et lettres ouvertes de psychanalystes
expliquant en termes ronflants pourquoi être pour ou contre la
banalisation du porno. Un très grosse shitstorm. Le film tient quoi
qu'il en soit de la daube. Dans Libé, en 2000, on peut ainsi lire
que « Baise-Moi apparaît comme un vieux film, dépassé par la
culture dont il est inspiré. La mention "Interdit au moins de
16 ans" concerne bien évidemment les scènes de sexe. C'est
pourtant bien la mention "tourné en numérique" qu'il
conviendrait d'indiquer sur l'affiche, car elle donne une information
capitale sur l'esthétisme hasardeux du film, de ces films. L'objet
DV (petite caméra numérique) influe sans aucun doute sur la façon
de filmer. Portée à la main, cette caméra n'incite pas le metteur
en scène à construire son espace. On filme dans l'urgence et dans
l'espoir qu'il en naîtra un style. C'est l'art de la spontanéité. »
Deux ans
plus tôt est pourtant sorti Les Idiots de Lars Von Trier et deux ans
plus tard déboule sur les écrans 28 Days Later, film d'action et
de fin du monde à budget confortable. Là aussi, c'est de la DV mais
que l'on aime ou non Lars Von Trier et Danny Boyle, ce sont ce vrais
cinéastes, formés pour construire des espaces. Or, que l'on aime ou
non Virginie Despentes, elle n'est pas cinéaste et Baise-Moi reste
un film gonzo amateur tourné comme elle écrivait : avec les
pieds. D'où d'ailleurs un énième retour au débat du fond et de la
forme. Pour moi, ce fut vite tranché : en 2000, je vois
Baise-Moi au cinéma avec ma copine de l'époque et quand c'est fini,
on a encore tellement faim de cinoche qu'on se paye directement
Mission Impossible 2 de John Woo à peine sortis de la salle. Le
« tout ça pour ça ? » dégonfle ensuite assez vite
le buzz. Durant quelques années, il me semble que l'on n'entend
ensuite même plus trop parler de Despentes, du moins en Belgique. Je
me souviens bien avoir vu Les Jolies Choses. Peut-être même l'ai-je
lu et pensé qu'elle commençait à mieux écrire. Je ne sais plus.
Zéro souvenir de ces années post-Baise-Moi, pré-King Kong Théorie,
où Virginie Despentes fait désormais partie des meubles mais des
meubles qui traînent à la cave. Ou que l'on n'achète tout
simplement pas parce qu'ils ne correspondent pas à nos goûts.
En 2004,
Despentes attire à nouveau davantage l'attention suite à son blog.
Je n'ai aujourd'hui plus aucun souvenir de son contenu mais je me
souviens très bien alors avoir pensé y discerner un pattern, que
j'estime largement confirmé et toujours valable depuis. Virginie
Despentes a des choses modernes un feeling qui intrigue mais qui
déçoit quasi immanquablement sur la longueur. Elle tape sur la
table un sujet ou un angle qui mérite l'attention mais n'arrive
ensuite jamais à mener ça correctement vers autre chose que du
gloubiboulga autant fanfaron que franchement discutable. Pour parler
le Cosmani, elle a quelques fulgurances mais celles-ci virent la
plupart du temps vite, trop vite, en platitudes et autres simples
couillonnades. C'est pour moi sa marque de fabrique, qui s'applique à
tout ce que j'ai lu d'elle depuis, autant donc à King Kong Théorie
qu'à Vernon Subutex 1, en passant par ses papiers polémiques sur
Charlie Hebdo et Me Too publiés dans la presse. Elle a le chic pour
soulever un point, désigner du doigt un fantôme qui hante l'air
ambiant, mais sur la longueur, au moment d'expliquer et argumenter,
elle s'englue fissa dans la caricature ou même le complètement
débile. Comme Michel Houellebecq, en fait, qui transforme lui aussi
depuis 20 ans des intuitions intrigantes en torchons poussifs. Qui
part lui aussi souvent bien, voire même très bien, pour vite se
manger un fossé. Qui tout comme elle est lui-même devenu une
créature médiatique adepte de la tartuferie soi-disant apolitique
alors qu'elle flatte principalement les extrêmes.
Je pense
ici exposer un avis assez dépassionné. Je parle de Virginie
Despentes et de Michel Houellebecq comme je parlerais de foie de
veau. Je n'aime pas trop ça, je me demande même comment on peut
aimer ça, mais je ne cherche pas à en dégoûter qui que ce soit.
Je pense même que c'est en fait plus mangeable que d'autres trucs si
affamé. Je viens donc de finir le premier tome de Vernon Subutex.
J'ai bien aimé les 100 premières pages, beaucoup moins les 300 qui
suivent et je n'ai pas envie d'en connaître la suite. C'est mieux
qu'Alexandre Jardin et Amélie Nothomb mais ça ne vaut pas Emile
Zola et Anna Kavan. Donc, je vais maintenant plutôt lire Emile Zola
et Anna Kavan, sait-on jamais que les Russes balancent une bombe
nucléaire sur la Belgique avant que je n'ai eu l'occasion de
continuer le cycle des Rougon Macquart et d'ouvrir A Scarcity of Love
en perdant trop de temps sur cette nawakerie de Vernon Subutex,
trilogie qui passe tout de même très vite de la fresque sociale
rock and roll amusante et crédible à la science-fiction bien
péteuse et complètement pinpon. Autrement dit, amusez-vous bien
avec votre foie de veau mais moi, je préfère définitivement le
poulet. C'est mon choix et qui serait assez zinzin pour s'en
formaliser, pour chicaner cette préférence ?
Despentes a
du comprendre il y a bien longtemps déjà que l'on ne peut pas
plaire à tout le monde. Elle a l'air de copieusement s'en branler
d'ailleurs. Respect pour ça ! Ce n'est donc pas elle, le souci.
C'est l'Eglise de Notre-Dame Despentes. Celles et ceux dont c'est la
gouroute. Celle et ceux pour qui le foie de veau n'est pas juste un
produit vendu en rayon mais the only way. Un mode de vie, un
évangile. Un manuel de rééducation aussi. Celles et ceux pour qui
une série Z où deux gouines butent des beaufs et une autre où un
DJ clodo qui joue Work Bitch en soirée devient le Petit Jésus 2.0
de la France post-attentats ne tient pas du divertissement
cathartique mais du pensum politique, voire même du bouquin de
self-help. Celles et ceux qui trouvent dans ces bouquins des réponses
à leurs colères, à leurs indignations, à leurs trous dans le
coeur. Celles et ceux qui deviennent donc aussi tarés et pétochants
que tous ces droitards qui n'ont rien compris à Fight Club et
tiennent ce bouquin pour une glorification des pains dans la gueule
et du terrorisme anarcho. Celles et ceux qui sont sur une Despentes
bien savonneuse, donc.