Or, ce n'est pas en postant des photos de vacances et en partageant les liens illégaux vers ses vieux films favoris que l'on obtient encore beaucoup de likes sur les réseaux sociaux ; singulièrement depuis Trump, le Brexit, les attentats en France, la Syrie, le Covid, etc... C'est en y choisissant la ligne dure. En s'y montrant combatif, militant, indigné, vénère, extrême. Ou alors victime. Et complotiste. Pas de place pour la nuance, le LOL, encore moins pour l'indifférence, fut-elle amusée. A droite comme à gauche, on y va à fond, en exagérant tout, en trouvant des problèmes là où il n'y en a en réalité aucun ; en surdramatisant de façon à ce que n'importe quel clébard écrasé devienne une soi-disant menace pour la société ou un affront terriblement rétrograde à la face de l'Humanité vertueuse et progressiste. Pour maintenir les utilisateurs connectés, il faut que les réseaux sociaux produisent ce que l'on appelle des « spirales de très fort consensus » ; autrement dit d'interminables discussions sur le voile islamique, Roman Polanski et la charge mentale des femmes devant le contenu mal trié d'un lave-vaisselle ; ainsi que des conflits avec d'autres utilisateurs. Ce qui déborde bien évidemment dans le quotidien. Dans son bouquin, Empoli compare cette influence néfaste à Waldo, le personnage virtuel au départ rigolo mais qui devient rapidement force politique populiste majeure dans un vieil épisode bien connu de la série Black Mirror. « Waldo, écrit-il, n'est rien d'autre que la traduction politique des réseaux sociaux. Une machine redoutable qui se nourrit de la rage et a pour unique principe l'engagement de ses partisans. L'important est de l'alimenter en permanence avec des contenus « chauds » qui suscitent des émotions. »
Justement, il se fait que je n'ai jamais été très en rage. Je suis d'un naturel contraire et assez colérique mais pas « rageux ». Bref, un mauvais client. Longtemps, je me suis sur Twitter revendiqué Mocker. Ni Mod, ni Rocker, Mocker. Trublion, quoi. Rigolo. Forcément distancié. Mes colères, qui peuvent être tenaces, visent certaines personnes, à titre personnel, pour des raisons personnelles. Pour le reste, je suis - surtout politiquement - plutôt placide, désintéressé, carrément de centre mou. Mon engagement sur les réseaux sociaux découle rarement de la colère, plutôt de l'habitude, de la provocation, de l'envie de rire ou d'en découdre; bref de m'en payer une tranche. La pratique des réseaux sociaux m'a dégoûté à vie du parti Ecolo mais c'est surtout parce que j'estime que beaucoup de ses représentants s'y sont dévoilés au mieux d'une profonde imbécillité, au pire parfaitement crapuleux. Cela ne signifie pas que je suis en colère contre Ecolo. C'est juste un produit que je laisserai désormais pourrir en rayon. Plutôt voter pour un parti corrompu mais compétent que pour ces branquignolles immatures et/ou cinglés. Tout simplement.
Le Système, je m'en tape. Je ne compte pas dessus. Je n'en attends rien. Ca pourrait être mieux, ça pourrait surtout être pire. On fait avec. De toutes façons, mon idéal de vie est une villa hi-tech, confortable et connectée, bien pourvue en disques, en films et en livres, au fond des bois ou d'un fjörd. Pas un kibboutz géant inclusif et bienveillant, ni un gigantesque marché libertarien où nager avec les requins. Je ne m'y retrouve pas plus dans les emballements progressistes que dans les positions conservatrices. Aucune utopie ne me satisfait, aucune angoisse contemporaine ne me correspond. J'ai une extrême confiance dans ma soif de vivre et mes capacités de survie, tout en étant relativement nihiliste et pessimiste. Au cas où la société partirait vraiment en saucisse, je siphonnerai l'essence des autopompes de la police plutôt que de porter un infâme Gilet Jaune les roustons collés sur le pavé des ronds-points histoire de forcer le gouvernement à réguler le prix des carburants. Je plaisante. Le jour où la société part en saucisse, je serai plutôt probablement parmi les premiers à me faire descendre car jugé pas assez ceci ou trop cela. "Lebensunwertes Leben", comme disaient les nazis, les vrais.
Une vie indigne d'être vécue. Un type pas assez fiable et trop individualiste pour participer à une révolution ou, au contraire, à une contre-insurrection. Ni de gauche, ni de droite, ça veut dire d'extrême-droite, disait récemment un pauvre con sur Twitter. Bien sûr, pine d'huître, et mon cul, c'est Von Ribbentrop. Reste que cet imbécile résumait malgré tout là parfaitement la mentalité combattante et tribale en place sur les réseaux; en plus d'illustrer l'immense clivage qui mène forcément à un point de non-retour. Si vous ne voulez pas de notre solution, vous faites partie du problème. La perversion étant que pleinement soutenir ou combattre avec ardeur cette dite solution génère du like; alors que la considérer comme complètement tarte et en ricaner fait de vous un ennemi public aux yeux de toutes les parties. Puisque la colère contemporaine, c'est vous qui la vivez, c'est eux qui en vivent, il serait pourtant logique de d'abord en rire et ensuite se déconnecter et reprendre une activité normale. Arrêter de se prendre tellement au sérieux, de se croire tellement en danger. Trouver son rush de dopamine dans le sport, le sexe, la découverte, l'aide aux personnes, la recherche, la création, le fun... C'est ça qui sauvera le monde, mine de rien.
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