Janvier 2023 - Cela doit faire un peu plus de 15 ans que je n'ai plus foutu un pied au Fuse et je n'ai même pas de souvenir fort précis de cette dernière fois, sinon d'y avoir beaucoup ri dans l'escalier. Avant cette nuit là, je n'y avais passé qu'une autre soirée, gratuite et drum & bass, au tout début des années 2000. Par pure curiosité, n'étant pas du tout fan de drum & bass. Une sorte de réunion d'anciens rigolant de la jeunesse en anoraks nous remplaçant sur la piste de danse et buvant au goulot de bouteilles sorties de leurs sacs à dos plutôt que de consommer au bar. Au XXIème siècle, je n'ai donc été au Fuse que deux fois. En fait, j'ai surtout été client du 208 Rue Blaes de 1995 à 1998 environ. J'y allais alors même en semaine, aux soirées étudiantes. Je n'y ai pas vu Autechre (que je n'aimais pas), ni Daft Punk (dont je n'ai jamais rien eu à foutre) ; prestations que beaucoup jugent depuis carrément historiques ; jalons de l'histoire musicale bruxelloise par l'influence que ces « concerts » ont eu sur les musiciens électroniques locaux. En revanche, j'y ai drôlement apprécié The Orb en formation platines-basse-batterie-guitares devant 80 personnes (si, si!), Kenny Larkin, Mike Paradinas, Laurent Garnier aux petites heures, Trish et Pierre. Le reste, on va dire que c'était surtout vodka-compatible et boum-boum (qui se souvient du très bourrin Darren Emerson ?). Mais soit. Ce fut, heu... important. Sur ma vie. Sur mes amitiés et mes amours. Sur ma conception des choses. Si vous y connaissez quelque-chose aux bonnes discothèques et à leurs influences durables sur les gens, c'est évident, je n'ai pas besoin de développer. Sinon...
Aujourd'hui, je ne sors plus, je ne suis plus bruxellois et je ne compte jamais le redevenir. Autrement dit, à titre perso, je m'enfous un peu de l'avenir du Fuse. Peut-être serait-ce d'ailleurs mieux qu'il ferme, qu'on en revienne aux raves dans le Bois de la Cambre et que le C-12 -plus jeune, plus wild- prenne sa place en terme d'influence culturelle majeure dans la capitale ? Le Fuse étant plus un concept qu'une discothèque à proprement parler, je pense de toutes façons que ses organisateurs vont rebondir quoi qu'il arrive. Si le Fuse on The Beach est possible, pourquoi pas le Fuse in The Slaughterhouse of Anderlecht ou le Fuse in The Heysel ? Je ne crois pas que la fermeture du Fuse marquerait le décès de « la marque » ou la faillite assurée de sa direction. En revanche, toujours à titre personnel, ce serait un gros coup de vieux de plus. Et de façon plus générale, un rappel assez calamiteux que Bruxelles reste gérée à la plouc par des ploucs pour des ploucs et que l'époque offre toujours sur un plateau aux âmes chichiteuses le pouvoir de vie et de mort sur les entreprises.
Ce dernier point n'est pas neuf. Après tout, les autorités de Bruxelles fermant des bars et des clubs (ou cherchant à le faire) suite aux plaintes de voisins et de comités de riverains est une tradition au moins aussi ancienne que le Meyboom. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une sinistre habitude locale, tant le principe d'antériorité est rarement reconnu en droit, sinon à Berlin je pense (et pas depuis longtemps). Personnellement, je trouve carrément débile que l'on puisse acheter une habitation à côté d'une discothèque là depuis 50 ans (avant le Fuse, c'était le Disque Rouge, dès le début des années 1970) et puis se plaindre du bruit. Mais ne vit-on pas dans un pays où les riverains d'un aéroport national inauguré il y a plus d'un siècle dans ce qui était alors un champs de patates sont également écoutés et soutenus, y compris par des politiques? Bruxelles n'est-elle pas l'une des seules villes de Belgique où une discothèque peut se développer pépouze dans un quartier résidentiel (tant que personne ne bronche) alors qu'ailleurs, la démarcation entre quartiers d'habitations et rues consacrées à la fête est bien davantage marquée ?
Bruxelles a toujours été une ville gérée à la plouc par des ploucs ou alors pas par des ploucs mais par des types tenus de s'en tenir aux mesures ploucs de la « lasagne institutionnelle ». Quoi qu'il en soit, existe-t-il plus plouc en ce début 2023 que ce petit monde politique bruxellois se sentant obligé de soutenir publiquement le Fuse contre une menace de fermeture administrative définitive pourtant permise par des mesures restrictives développées, admises et signées par des représentants des mêmes partis aujourd'hui au pouvoir ? Il y a un côté The Office à ces conneries, d'autant que cette problématique est donc non seulement récurrente mais a aussi déjà fait élever certaines voix, dont la mienne, pour notamment tenter d'avertir que la volonté de drastiquement baisser le taux de décibels dans les bars dansants, les salles de concerts et les discothèques allait non seulement poser des soucis techniques mais surtout culturels et économiques. Ces voix n'avaient pas réussi à se faire entendre, passèrent même pour du bête troll libertaire cherchant à chicaner des recommandations de l'OMS et les plans d'apaisement de la ville. Là, cette logique sanitaire de risque zéro et de responsabilités mal partagées – quasi la même sale enroule que l'horrible gestion du Covid - est pourtant soit en passe de fermer une prestigieuse discothèque ouverte il y a presque 30 ans, célébrée à échelle européenne et ayant même compté dans l'histoire musicale afro-américaine; soit de s'asseoir arbitrairement sur des décisions administratives pourtant logiquement nées de ses propres innovations réglementaires. Bref, bravo, les ploucs. Vraiment, champions du monde. La honte totale.
PS : Si les politiques passent dans cette affaire pour des ploucs de première, saluons tout de même aussi l'effort de les dépasser dans la ringardise ignare des Raymond-La-Science de Twitter; pour qui le Fuse ne mérite pas la dénomination de « haut lieu culturel » et associent toujours, après plus de 40 ans d'histoire musicale, la techno au trafic de drogues et à une sous-culture anecdotique de petits bourgeois blancs.
Nous sommes bien d’accord Serge.
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