Jeune typique de la fin des années 80, lors de mes premières vacances sans parents, j'ai pas mal pratiqué l'Interrail. En 1989, un soir à Edimbourg, on a décidé que la douche écossaise et les vieilles pierres gothiques, c'était bien joli mais pas très tarladiladada et seulement cinq ou six trains plus tard, on était déjà à Séville à se bourrer la gueule au gin Larios et à rouler des pelles à des cagoles du coin. Ce sont de bons souvenirs et quand on me dit aujourd'hui que « le train, c'est sympa », c'est à ce monde de possibilités que je pense en premier. Des trajets à l'arrache, sur des coups de tête. Des expériences humaines et touristiques qui rappellent fort les pages consacrées à l'Eurotrip de Victor Ward dans Les Lois de l'Attraction de Bret Easton Ellis. Quelque-chose de kaléïdoscopique, de chargé ; du vécu qui change de ville ou de pays toutes les 36 heures. Autrement dit, une forme de vacances et une façon de voyager qui convient très bien à certains et franchement pas du tout à d'autres. Cela dit sans juger le moins du monde l'une ou l'autre option.
Avant de développer, je pense utile de préciser d'où je parle. Pour moi, le train idéal est un train de service public, fort bien financé, peu cher et au tarif basé sur le nombre de kilomètres à parcourir et non pas sur l'heure à laquelle le trajet est effectué. Le sens du service m'est aussi très important : du personnel multilingues, des guichets d'informations ouverts 24h/24, des time tables compréhensibles même par les plus gros demeurés. Ca coûte donc cher sans forcément être rentable mais peu importe : c'est du service public. A la socialiste old school. Je pense en effet que dans ce secteur là, dès que l'on privatise, dès que l'on libéralise, dès que l'on décide que 300 kilomètres peuvent coûter 25 balles le matin et 100 l'après-midi, les encules commencent.
Je pense aussi que l'actuel discours écologiste à propos du train tient de la gigantesque tartufferie qui permet principalement à des bobos fourrés à la chiasse de se donner bonne conscience et de se parer de vertu de Prisunic. Il est pour moi ainsi complètement pathétique de voir les Verts se branlotter la nouille à l'idée de trains de nuit dont les billets coûtent 4 à 5 fois plus que le même trajet en pleine journée ; ce qui fait par ailleurs généralement déjà 3 fois plus que l'avion. Dans mon monde idéal, aller à Paris, Londres, Barcelone ou Berlin coûte à n'importe quelle heure de la journée à peine plus que le prix pour rejoindre Knokke ou Seraing. Ce n'est pas réservé à une clique fortunée ou seulement possible une fois tous les cinq ans quand on n'a pas un rond. Bref, quand on en vient à parler de trains, je me sens plus envieux du système ferroviaire soviétique que du rail privatisé britannique.
Sauf pour les navetteurs et les gens désirant se rendre en dehors des grandes villes et dans les Ardennes, je pense par ailleurs qu'en Belgique, dès que l'on prend le train uniquement en touriste, on n'a pas trop à se plaindre. Ca pourrait être mieux, ça pourrait être pire mais globalement, ça va. Je pense aussi que globalement, aux alentours de nos frontières, pour aller d'une ville à l'autre, y rester, et puis en revenir, le train est aussi OK. C'est quand on garde cette mentalité Interrail que ça me semble devenir un peu plus compliqué. J'écris ceci juste au retour d'un Oslo-Liège qui m'a semblé assez instructif, là, maintenant, en cette très chaude fin juin 2023. Je n'ai pas envie d'étaler une suite de contrariétés qui ressemblerait à la complainte peu intéressante d'une Karen sur Yelp ou sur le site de la Deutsche Bahn à la sinistre réputation méritée. Je suis allé à Oslo en avion, je suis resté 15 jours en Norvège et puis, comme il me restait de l'argent et du temps avant de reprendre le taf (et que le pilote de l'avion m'avait bien stressé avec son atterrissage de Fangio des Cieux!), je suis revenu par le rail, en prenant largement le temps de visiter Malmö et Copenhague.
C'était cool, j'ai aimé ça. Le trajet n'a posé aucun souci majeur. Je n'ai vécu aucun drame. Malgré tout, il y eut quelques moments stressants, des petites contrariétés, des grosses fatigues et, surtout, beaucoup d'ennui. Ca m'a aussi coûté beaucoup plus de pognon que le billet retour de la SAS. A ma décharge, il est honnête de préciser que j'ai effectué ce dit trajet en plein Midsommar, autrement dit le début des grandes vacances dans les pays scandinaves. Ce qui implique non seulement des trains bondés mais aussi le début de certains travaux lourds sur les infrastructures (cette spécialité absurde n'est pas que belge) et donc, des surbookings, des annulations et des trains à prendre dans d'autres gares que celles désignées par la logique géographique et Google Maps, parfois situées 30 kilomètres plus loin. Autre point à ma décharge : suite à une erreur de manipulation, la 4G sur mon téléphone était hors service durant une bonne partie du trip. Ce qui n'aide pas. Mais soit.
A 20 ans, j'ai donc été d'Edimbourg à Séville avec juste dans le baluchon des traveller's checks, du cash et un anglais beaucoup plus approximatif que celui que je pratique aujourd'hui. A 53 ans, descendant pépère d'Oslo à Liège en passant par la Suède, le Danemark et l'Allemagne, je me suis par contre demandé tout le trajet si celui-ci aurait été possible sans smartphone, sans Wi-Fi (ou 4G) et sans Master Card. J'ai croisé pas mal de gens qui se trimballaient en suivant des plannings de voyage de plusieures pages; à mes yeux moqueurs dignes des plans de conquêtes de Napoléon. Vive la spontanéité. J'ai causé à deux nanas qui avaient l'âge d'être mes enfants et trouvaient complètement dingue que je rentre de Norvège en Belgique sans la moindre réservation. Non mais c'est quoi, cette mentalité Booking.com ? Ou est-ce une tendance ? Ou alors, une obligation, vu que le rail international ne permet plus trop le coup de tête, le délire spontané, le vagabondage ? C'est qu'en Norvège, dès qu'un peu sorti des grandes villes, il n'y a pas de guichets, ni même de borne à laquelle acheter un ticket dans certaines gares de patelins pourtant très touristiques. Ca se fait on-line, via une app. Exit les papys à Nokia, donc. Et exit ta propre gueule si tu perds ton smartphone. Certes, on peut payer dans le train mais par carte de crédit uniquement, s'il n'est pas complet, et avec un supplément pas cool du tout à la clé. Exit donc aussi le cash. J'ai passé 15 jours en Norvège et je n'ai pas la moindre idée de à quoi ressemblent leurs billets de banque. En Suède et en Allemagne, j'ai payé aux bornes des billets pour des villes dont je n'avais jamais entendu le nom ou presque parce que c'est là que se trouvaient les trains à prendre pour celles où je voulais me rendre ; déviés suite à des travaux. C'était expliqué au mieux en broken english, - pas forcément de façon sympathique et encourageante d'ailleurs-, et au pire, je l'ai sucé de mon pouce, le scandinave ayant certains mots à peu près communs avec le néerlandais, que je capte à 80%. Au Danemark, le seul train pour en sortir ce matin là, près de 4 heures avant l'ouverture du bureau de réclamations, était sinon soudainement annoncé comme n'allant plus qu'à 50 kilomètres de Copenhague suite à une embrouille dont je n'ai toujours pas saisi toutes les subtilités ; sinon qu'un tortillard de grande banlieue s'est finalement transformé en transporteur international à destination d'Hambourg, évidemment sans le confort allant de pair. Mais pour le même prix.
Toute cette petite chanson pour arriver à la conclusion que tout cela n'est pas très « tourist friendly ». Que le train n'est PAS VRAIMENT « sympa » et qu'il faut même être bien maso pour se taper un Copenhague-Belgique de près de 14 heures une journée de canicule alors que l'avion met moins d'une heure. Pour moins du cinquième du prix. Bref, en l'état, vu que visiblement un peu partout sous-financé depuis des années, le service ferroviaire international ne me semble présenter ni une concurrence sérieuse face à l'aéronautique, ni une façon de voyager fonctionnelle pour des gens n'allant pas simplement d'un point A à un point B. C'est surtout une façon de voir du pays qui était jadis celle des semi-aventuriers fauchés mais qui exige désormais smartphone, 4G, carte de crédit, beaucoup plus de pognon et de temps que l'avion, énormément de patience, une connaissance au moins basique de l'anglais et, de préférence, une idée précise de trajet à suivre. Et à réserver. Sans quoi, c'est plus galère que TGV.
Bref, le train sauve peut-être la planète mais flingue beaucoup plus certainement le dos, le cul, les sinus (airco partout, fenêtres ouvrables nulle part), le budget et ça bouffe aussi énormément de temps et d'énergie. Surtout si des enfants gueulent en plus dans le wagon ou que celui-ci est rempli d'Espagnols ; peuplade certes très sympathique mais dont le parler criard est le plus énervant au monde, juste avant le vocal fry des américaines névrosées. Alors, toujours aussi sympa le train ? Du moins si on compte aller plus loin que La Panne ou la Côte d'Azur ? Je ne pense pas, non. Avion + voiture = liberté, encore et toujours. Quoi qu'en pense Georges Gilkinet. Bref, va falloir trouver autre chose que ce tchouk tchouk en perdition pour sauver à la fois le climat et le tourisme. Ou alors, lâcher la thune par palettes et tout updater. Mais vraiment. A la « grands visionnaires », pas comme des petits épiciers. Faut de la carrure pour ça. Ce qui est précisément pourquoi je n'y crois pas. Goodnight, world.
Bruler le dur …
RépondreSupprimerHo! https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/02/le-train-de-nuit-attend-encore-son-grand-soir_6180246_3234.html
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