samedi 5 avril 2025

VIE ET MORT D'UNE CERTAINE IDEE DE PIGE CULTURELLE

 


Jeudi 3 avril 2025 à Ostende, passant devant le Kursaal, je m'esclaffe à la vue des concerts annoncés : George Michael, Arno, Queen, Elvis... Que des morts ! Mais aussi Depeche Mode, Simple Minds, U2, Dire Straits et Elton John... Que des faux ! Le lendemain, rentré à Liège, je zone sur Facebook et me voilà devant le programme du Spirit of 66, la salle blues-rock de Verviers. Sur seize noms annoncés pour ce mois d'avril 2025, six sont des « tributes » : à Taylor Swift, à Electric Light Orchestra, à Muse, aux Scorpions, à Queen et à Michel Berger.


A part sur des braderies et le samedi après-midi dans des rues commerçantes devant un étui à guitare où jeter des pièces, je n'ai jamais vu un seul groupe entièrement consacré à des reprises de ma vie. Je ne cherche pas ici à me montrer méprisant : que des musiciens choisissent d'en imiter d'autres ne m'est pas du tout scandaleux. Je peux même très bien imaginer fort apprécier une soirée dans un bar où Adam Green reprendrait 15 chansons de Jonathan Richman et que de faux Cramps animent un futur anniversaire bien déglingosse. Où est d'ailleurs la limite dans l'imitation ? LCD Soundsystem n'est-il pas qu'un tribute-band à peine déguisé aux Talking Heads et au Bowie de 1980, autrement dit au guitariste Adrian Belew ?


Quoi qu'il en soit, disons que le groupe de reprises tient pour moi davantage de l'animation que de la culture. Ce qui explique aussi que je n'avais jusqu'ici pas trop percuté que des « tribute bands » se programmaient désormais presque autant dans de « vraies » salles que les « vrais » groupes. Que certains faisaient même de « vraies » tournées et pas que sur des fancy-fairs. Comme le virus du journalisme culturel n'est pas encore totalement éradiqué de mon intestin grêle, j'ai dès lors pensé que c'était peut-être une bonne idée de sujet à proposer à une gazette. Et que fait-on aujourd'hui quand on a une idée de sujet dont on ne sait rien ? On se tourne vers l'Intelligence Artificielle, histoire de se faire présenter un topo général et de voir ensuite si ça vaut vraiment la peine de creuser davantage.


« Existe-il un boom actuel des tribute bands ? », ai-je donc demandé Grok 3. Voici sa réponse, que je me suis permis d'éditer et de résumer :


« Oui, on peut effectivement parler d’un boom actuel des tribute bands, ce phénomène semblant s’amplifier ces dernières années. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance observable à travers le monde, notamment en Europe et aux États-Unis. D’abord, la nostalgie joue un rôle clé. Les tribute bands permettent aux fans de revivre l’expérience de groupes légendaires qui ne tournent plus, soit parce qu’ils se sont séparés, soit parce que certains membres sont décédés. Par exemple, des groupes comme The Beatles, Queen (dans sa formation originale avec Freddie Mercury) ou Pink Floyd attirent toujours un public fidèle, et les tribute bands comblent ce vide en recréant fidèlement leurs performances. Cette demande est particulièrement forte chez les générations qui ont grandi avec cette musique, mais aussi chez les plus jeunes qui découvrent ces classiques via des plateformes comme Spotify ou YouTube. »


« Ensuite, l’accessibilité financière est un argument de poids. Les concerts des grandes stars actuelles ou des groupes encore actifs peuvent coûter des centaines d’euros, tandis que les tribute bands offrent une alternative abordable, souvent dans des salles plus petites et intimistes. Cela démocratise l’expérience du live, rendant la musique accessible à un public plus large. Les chiffres appuient cette popularité croissante. Par exemple, une étude de Slingo (2024) a montré que Brit Floyd, un tribute band de Pink Floyd, a généré 481 100 recherches en ligne entre juillet 2023 et juillet 2024, loin devant d’autres acts similaires. De plus, des festivals entiers dédiés aux tribute bands, comme le Tribute Fest aux États-Unis (lancé en 2009), attirent des milliers de spectateurs chaque année, preuve d’un engouement qui ne faiblit pas. »


« Enfin, la professionnalisation du secteur y contribue. Les tribute bands ne se contentent plus de jouer dans des bars locaux ; beaucoup, comme Queen Extravaganza ou The Australian Pink Floyd Show, remplissent des salles de concert prestigieuses et investissent dans des productions sophistiquées (costumes, éclairages, son). Certains artistes originaux, comme Roger Taylor de Queen, ont même adoubé ces hommages, renforçant leur légitimité. En somme, oui, il y a un boom des tribute bands en ce moment, porté par la nostalgie, l’accessibilité et une qualité croissante des performances. Ce n’est pas qu’une mode passagère : c’est une réponse à un besoin culturel et émotionnel bien ancré. »


Deuxième question, portant sur le topo local. Réponse de Grok 3, toujours résumée et éditée :


« Voici quelques noms qui se démarquent sur la scène belge des tribute bands, souvent reconnus pour leur qualité et leur popularité : U2be, Belgian Quo Band (Status Quo), Magnetica (Metallica), Bruce Brothers (Springsteen), Slash N' Roses... (...) Il y a aussi des tribute bands qui rendent hommage à des artistes belges, ce qui ajoute une touche locale unique. Par exemple, des groupes comme Clouseau Tribute (inspiré du célèbre duo pop flamand) ou des hommages à Benny Neyman (chansonnier néerlandophone) montrent que la scène ne se limite pas aux icônes internationales. Ces projets attirent surtout un public attaché à l’identité culturelle belge, flamande ou wallonne (...) Les chiffres confirment indirectement que ça marche vraiment bien : des groupes comme ceux-ci remplissent des salles comme le Spirit of 66 à Verviers ou des événements locaux, et certains, comme U2be ou Magnetica, exportent même leur talent hors des frontières. La Belgique, avec sa diversité linguistique, voit aussi des tribute bands adapter leur répertoire : en Flandre, on préfère peut-être les hommages rock anglophones, tandis qu’en Wallonie, des tributes à des artistes francophones (Johnny Hallyday, par exemple) ont aussi leur place. En résumé, les tribute bands en Belgique, c’est un marché florissant avec des "stars" locales qui brillent par leur professionnalisme et leur proximité avec le public. »


Peut-être que je suis complètement rouillé ; peut-être qu'après avoir lu ça, je n'en ai tout simplement plus rien à foutre. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas trop quoi rajouter, quelle autre question poser. Le sujet est plié. Je n'ai pas l'impression qu'aller ensuite interviewer le chanteur des Bruce Brothers et le programmateur du Spirit of 66 apporterait à un article sur les « tribute bands » autre chose que de l'habillage humain ; autrement dit du remplissage. Je me vois d'ici poser trop de questions dont on devine pourtant déjà les réponses à la lecture de Grok 3. Si l'un de ces chanteurs/imitateurs est particulièrement extravagant ou taré, il y a certes un reportage à la Strip-Tease à faire sur sa fraise ; autrement dit entamer une approche du sujet plus critique et créative, mais à un niveau strictement informatif et neutre, Grok 3 me semble plutôt très bien avoir fait le job, en quelques secondes et pour zéro balles... Même s'il faudrait idéalement un peu repasser derrière, fact-checker quelques trucs. 


Je ne vois dès lors pas très bien comment le journalisme culturel strictement informatif peut survivre et devrait même survivre. Ca fait un bout de temps que je critique le métier et lui prophétise l'Apocalypse mais là, on y est vraiment. This is the end. Pourquoi payerait-on encore un humain pour récolter et synthétiser une info que l'IA balance en quelques secondes ? Pourquoi payerait-on encore un humain au tarif du litron d'huile de coude alors que son job, faute de temps et de budget, consistera justement à enrober de disons 30% d'habillage « humain », plus ou moins inutile et plus ou moins principalement destiné à la légitimation déontologique, les 70% d'infos de fond fournies par l'IA ?


C'est d'autant plus the end que nous traversons par ailleurs une époque où l'approche humaine, que j'idéalise donc personnellement créative et critique, serait a priori plus de la pignolade militante à la mode du jour (du genre des articles sur le manque d'inclusivité de la programmation des Ardentes) que de l'humour et de l'érudition à l'ancienne; comme dans les vieux papiers sur la scène punk-rock de Los Angeles par Philippe Garnier, par exemple. D'autant plus que quiconque ferait ça aujourd'hui serait sans aucun doute aussitôt perçu comme un « tribute journalist » à Alain Pacadis, Lester Bangs et autres Nick Kent. Du revival, de l'imitation, de la nostalgie pure. Good night, and good luck, folks.


PS : l'illu est également l'oeuvre de Grok 3, cela va sans dire...



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vendredi 17 janvier 2025

KINOCOSMANI (6) : DAVID LYNCH ICI OU QUOI ?

 


Je ne sais plus très bien où, lors d'une randonnée en forêt, je me suis retrouvé seul sur un sentier qui longeait un camping abandonné sous un viaduc tout aussi abandonné et il y avait un bruit continu pas du tout effrayant mais bizarre, ennuyeux, que je ne pouvais ni identifier, ni localiser. David Lynch ici ou quoi ? Un 15 août à Liège, dans les années 80, une mère ivre qui ressemblait à Popeye nous a proposé une partouze avec sa fille, quant à elle plutôt jolie. David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de bistrots où tu rentres pour un café, pisser ou t'achever et en ressors direct parce que... David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de mauvaises descentes du dimanche et de gueules de bois dégueulasses où pointe l'angoisse de vivre « un truc à la Bill Pullman dans Lost Highway », c'est-à-dire flipper devant un mur vide de toute décoration. David Lynch ici ou quoi ?


Le nombre de soirées en appartements où ça vire au glauque, pas forcément sur Roy Orbison, avec une femme grosse qui rit beaucoup trop fort et un type qui se dandine seul en regardant le sol... David Lynch ici ou quoi ? Dans la gare centrale de Lisbonne, un clochard me menace avec la pointe d'un stylo Parker et personne ne bouge, n'intervient, personne ne semble même nous voir. David Lynch ici ou quoi ? A Berlin-Est, un ou deux ans après Le Mur, un rez-de-chaussée ouvert sur la rue où un sosie de Carmen Cru au genre indéterminé fait bouillir des patates tandis qu'un type joue du violoncelle, très mal. Que faisons-nous là ? On était pourtant venus pour la techno ! David Lynch ici ou quoi ?


Checker par curiosité le Facebook de la locataire du rez-de-chaussée expulsée deux jours avant notre arrivée et y lire que le propriétaire l'a empoisonnée au CO2 dans le cadre d'un complot mondial. Rire et puis quand même un peu flipper à cause d'une odeur non identifiée dans l'appartement. David Lynch ici ou quoi ? En 2025, être toujours incapable de dire « je vais me brosser les dents » sans penser à Dale Cooper et encore donner le nom de Ronette Pulaski à toutes les brunes mal nourries à l'air égaré qui marchent dans les rues de la ville. David Lynch ici ou quoi ? Une mixtape avec du classique, du doo-wop, du dreamy stuff, de la country, des crooners, des tubes sixties et Nine Inch Nails... David Lynch ici ou quoi ? L'électricité qui déconne dans un vieil ascenseur en bois. David Lynch ici ou quoi ? Découvrir Charleroi n'importe quand, Ostende en hiver à 20h00 et la route Dieupart à Aywaille, ce Twin Peaks wallon... David Lynch ici ou quoi ?


Voilà. De David Lynch, il y a des films que j'aime vraiment beaucoup, d'autres que je déteste tout aussi cordialement et même un que je n'ai toujours pas regardé. A vrai dire, je n'ai même jamais vu Twin Peaks dans son intégralité, ayant sauté pas mal d'épisodes, y compris dans les années 90. Reste que si le cinéma de David Lynch n'est pas toujours ma tasse de café bien noir foutrement bon, je reste donc sensible aux lyncheries : ces angoisses plus ou moins diffuses, ces névroses plus ou moins marquées et ces embrouilles plus ou moins délirantes.


Suis-je devenu perméable au « lynchéen » de l'existence suite aux impacts de Blue Velvet, d'Eraserhead, de Wild at Heart et des meilleurs passages de Twin Peaks ? Sans doute. D'autant que c'était « le cinéma de mes 20 ans », la hype alors totale. J'avais déjà bien compris qu'en matière d'horreur, je préférais le tordu torturé et le bien bizarre à Vendredi 13 et Freddy Kruëger et la Lynchmania m'a définitivement fait basculer non seulement les goûts mais aussi la façon de voir les choses. Accepter certaines angoisses, certains délires perso. Parvenir à un recul amusé. Me sentir moins seul, moins border-cinglé.


Bref, David Lynch n'était certainement pas mon cinéaste favori mais il a été un foutu bon psy. Ce qui est plus important et excuse tout le reste. Sauf « Dougie » dans Twin Peaks, The Return. Le trou du doughnut n'en est pas moins indigeste depuis hier soir. RIP, l'Artiste !




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