vendredi 17 janvier 2025

KINOCOSMANI (6) : DAVID LYNCH ICI OU QUOI ?

 


Je ne sais plus très bien où, lors d'une randonnée en forêt, je me suis retrouvé seul sur un sentier qui longeait un camping abandonné sous un viaduc tout aussi abandonné et il y avait un bruit continu pas du tout effrayant mais bizarre, ennuyeux, que je ne pouvais ni identifier, ni localiser. David Lynch ici ou quoi ? Un 15 août à Liège, dans les années 80, une mère ivre qui ressemblait à Popeye nous a proposé une partouze avec sa fille, quant à elle plutôt jolie. David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de bistrots où tu rentres pour un café, pisser ou t'achever et en ressors direct parce que... David Lynch ici ou quoi ? Ce nombre insensé de mauvaises descentes du dimanche et de gueules de bois dégueulasses où pointe l'angoisse de vivre « un truc à la Bill Pullman dans Lost Highway », c'est-à-dire flipper devant un mur vide de toute décoration. David Lynch ici ou quoi ?


Le nombre de soirées en appartements où ça vire au glauque, pas forcément sur Roy Orbison, avec une femme grosse qui rit beaucoup trop fort et un type qui se dandine seul en regardant le sol... David Lynch ici ou quoi ? Dans la gare centrale de Lisbonne, un clochard me menace avec la pointe d'un stylo Parker et personne ne bouge, n'intervient, personne ne semble même nous voir. David Lynch ici ou quoi ? A Berlin-Est, un ou deux ans après Le Mur, un rez-de-chaussée ouvert sur la rue où un sosie de Carmen Cru au genre indéterminé fait bouillir des patates tandis qu'un type joue du violoncelle, très mal. Que faisons-nous là ? On était pourtant venus pour la techno ! David Lynch ici ou quoi ?


Checker par curiosité le Facebook de la locataire du rez-de-chaussée expulsée deux jours avant notre arrivée et y lire que le propriétaire l'a empoisonnée au CO2 dans le cadre d'un complot mondial. Rire et puis quand même un peu flipper à cause d'une odeur non identifiée dans l'appartement. David Lynch ici ou quoi ? En 2025, être toujours incapable de dire « je vais me brosser les dents » sans penser à Dale Cooper et encore donner le nom de Ronette Pulaski à toutes les brunes mal nourries à l'air égaré qui marchent dans les rues de la ville. David Lynch ici ou quoi ? Une mixtape avec du classique, du doo-wop, du dreamy stuff, de la country, des crooners, des tubes sixties et Nine Inch Nails... David Lynch ici ou quoi ? L'électricité qui déconne dans un vieil ascenseur en bois. David Lynch ici ou quoi ? Découvrir Charleroi n'importe quand, Ostende en hiver à 20h00 et la route Dieupart à Aywaille, ce Twin Peaks wallon... David Lynch ici ou quoi ?


Voilà. De David Lynch, il y a des films que j'aime vraiment beaucoup, d'autres que je déteste tout aussi cordialement et même un que je n'ai toujours pas regardé. A vrai dire, je n'ai même jamais vu Twin Peaks dans son intégralité, ayant sauté pas mal d'épisodes, y compris dans les années 90. Reste que si le cinéma de David Lynch n'est pas toujours ma tasse de café bien noir foutrement bon, je reste donc sensible aux lyncheries : ces angoisses plus ou moins diffuses, ces névroses plus ou moins marquées et ces embrouilles plus ou moins délirantes.


Suis-je devenu perméable au « lynchéen » de l'existence suite aux impacts de Blue Velvet, d'Eraserhead, de Wild at Heart et des meilleurs passages de Twin Peaks ? Sans doute. D'autant que c'était « le cinéma de mes 20 ans », la hype alors totale. J'avais déjà bien compris qu'en matière d'horreur, je préférais le tordu torturé et le bien bizarre à Vendredi 13 et Freddy Kruëger et la Lynchmania m'a définitivement fait basculer non seulement les goûts mais aussi la façon de voir les choses. Accepter certaines angoisses, certains délires perso. Parvenir à un recul amusé. Me sentir moins seul, moins border-cinglé.


Bref, David Lynch n'était certainement pas mon cinéaste favori mais il a été un foutu bon psy. Ce qui est plus important et excuse tout le reste. Sauf « Dougie » dans Twin Peaks, The Return. Le trou du doughnut n'en est pas moins indigeste depuis hier soir. RIP, l'Artiste !




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